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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/902

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quelques voitures à quatre, roues, de celles qui faisaient autrefois le service du transit. Au point culminant de la chaîne, nous fîmes halte dans un hôtel américain, dont le matériel de voitures donnait encore l’illusion d’une route très fréquentée. C’est à partir de cette station, à un tiers à peu près du chemin, que commence l’inclinaison vers le lac de Nicaragua, inclinaison qui permettrait facilement la construction d’un chemin de fer. Nous ne devions pas suivre jusqu’au bout la route de la Virgen. Après deux heures de marche, un guide qui nous avait rejoints nous fit prendre à gauche un petit sentier pou-preux qui traversait des bois desséchés. Ce sentier était la grande route de Rivas. Quelques minutes après, nous mettions pied à terre devant une hacienda isolée, entourée de peaux de bestiaux, où nous devions passer la nuit ; mais nous n’étions plus qu’à deux heures de Rivas. En reprenant le lendemain le sentier qui y conduisait, j’eus sous les yeux un échantillon de cette nature merveilleuse du Nicaragua qui l’avait fait appeler par les Espagnols de la conquête le paradis de Mahomet. Nous traversions tantôt des bois couverts de fleurs parasites éclatantes, tantôt des espèces de vergers littéralement jonchés de fruits dorés de toutes les grosseurs, qui faisaient penser au jardin des Hespérides. Des milliers d’oiseaux de toutes les couleurs se croisaient sur nos têtes, et le bruit de nos chevaux faisait fuir d’arbre en arbre des bandes de singes moqueurs qui semblaient être les rois de ces solitudes. L’ornithologie seule du Nicaragua ferait les délices d’un naturaliste et mériterait plusieurs années d’étude. Il fallait s’arrêter à chaque instant pour suivre des oiseaux à aigrettes d’un rouge vif ou d’un jaune orange, ou des couples inséparables d’oiseaux bleus, fantastiques en Europe, innombrables là-bas. En tournant un carrefour du chemin, près d’une source murmurante, nous trouvâmes une escorte envoyée par le président Martinez, avec l’avis qu’il arrivait lui-même au-devant de son collègue. Quelques minutes après en effet, une large allée s’ouvrit devant nous, au bout de laquelle on distinguait une pauvre maison entourée de chevaux. L’équipage se lança au galop dans cette direction. Plusieurs personnes sortirent alors de la maison, parmi lesquelles un homme de quarante-cinq ans, grand, froid, sérieux, les sourcils proéminens, et vêtu d’un habit de chasse. M. Mora s’était avancé jusqu’à lui ; le général Martinez lui tendit la main sans sourire, l’aida à descendre de cheval, et tous deux se présentèrent les personnes de leur suite, sans autres démonstrations que quelques paroles brèves et fermes. Je fus à peine excepté : le président du Nicaragua m’avait serré la main et adressé quelques mots affectueux.

J’appris bientôt que le général Martinez était plus résolu que jamais à repousser tout engagement équivoque à l’égard des Américains,