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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/934

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Bonnivet fut, il est vrai, détrompé par l’aspect des lieux ; le comblement de la baie avait été rapide, ce qu’expliquent aisément les éboulemens du rivage, dont les débris étaient apportés par le courant. Lorsqu’en 1638 M. d’Infreville vint remplir sur cette côte une mission analogue à celle de Bonnivet : « Grève plate et sablonneuse, rien à faire, » dit-il brièvement de l’embouchure de la Touques dans son rapport au cardinal de Richelieu.

Voilà ce qu’étaient devenus l’atterrage et le cours de la Touques, livrés au conflit des eaux intérieures et des marées chargées des débris des falaises voisines, et nul ne peut dire si, pendant une période de perturbation qui paraît avoir duré près de quatre siècles, des mains d’hommes eussent pu lutter contre un concours de circonstances naturelles si contraires. Depuis cinquante ans, ce rivage est entré dans une période de stabilité relative dont il ne faut ni se trop défier ni trop attendre. Les auteurs de la transformation qu’a subie la plage de Trouville de 1840 à 1856 ont été M. le comte d’Hautpoul, maire, M. Vallée, son adjoint, et M. Tostain, alors ingénieur en chef du Calvados. Saisissant la juste mesure de ce que comporte l’état des lieux, ils ont su mettre en relief les avantages nautiques d’une position à laquelle on n’en soupçonnait aucun. En 1846, M. Tostain, qui construisait la route de Pont-l’Évêque à Trouville, la mit au service direct de la navigation en jetant sur la rive gauche de la Touques les fondations d’un quai dont la longueur est aujourd’hui de 800 mètres. Poursuivant son œuvre sans se laisser décourager par la difficulté des temps, il perçait à la rivière en avril 1849 un nouveau passage au travers des dunes, et l’enfermait dans un chenal dirigé vers le nord. Cette abréviation des trois quarts de la distance à franchir du bord de la plage à la basse mer, accrut si bien l’énergie des courans de marée, que l’approfondissement du lit dépassa tous les calculs de l’ingénieur et mit à découvert les fondations des quais. La couche de galet sur laquelle reposent les sables offrait une base solide, et cet heureux accident fut bientôt réparé. Le lit de la Touques s’est abaissé devant Trouville de plus de 1m,50, et des bâtimens de 200 tonneaux accostent des quais aux places où l’on n’avait jamais fait que jeter du poisson frais sur la grève. Le nouveau chenal, s’allongeant entre deux belles estacades, reçoit dans les basses mers de morte-eau les navires qui le remontent avec le flot, et l’entrée de Trouville est dès à présent un refuge précieux pour la petite navigation de l’embouchure de la Seine. On ferait remonter le refuge et porter la marée et la navigation jusqu’à Pont-l’Évêque en redressant le lit de la Touques.

Le mot de refuge ne saurait se prononcer sur les côtes de Normandie