Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/956

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

raissait justifiée par l’intérêt de l’état. La charte de 1814, en donnant le droit d’accusation des ministres à la chambre des députés, ne lui permettait d’en user que dans les cas de trahison et de concussion. La charte de 1830 lui laissait toute latitude. Quoi qu’il en soit, le droit d’accusation était une garantie trop solennelle pour servir, s’il y avait lieu, de protection journalière aux intérêts d’un simple citoyen qui aurait été, par la faute d’un ministre, injustement atteint dans sa liberté. Aussi n’est-ce pas le droit d’accusation qui aurait suffi à garantir la responsabilité ministérielle ; mais les institutions d’alors la mettaient sans relâche à l’épreuve en laissant tout son cours au droit de plainte et au droit de blâme. Aujourd’hui les ministres n’ont plus à répondre de leur conduite devant une assemblée ; « ils ne dépendent que du chef de l’état. » Ils peuvent être encore mis en accusation ; mais le droit de les accuser n’appartient qu’au sénat : autrement ils sont inattaquables.

La législation française n’a pas heureusement mis à l’abri de toute poursuite ou de toute plainte les juges ou les officiers de police judiciaire qui se sont rendus coupables d’abus de pouvoir dans l’exercice de leurs fonctions ; mais les réserves ou les exceptions qu’elle a établies en leur faveur la laissent encore quelquefois incomplète. Les juges ou les magistrats du ministère public peuvent être poursuivis directement par les procureurs-généraux et mis en cause par la partie civile au moyen de la prise à partie, c’est-à-dire avec l’autorisation préalable de la cour impériale, à laquelle la prise à partie est soumise ; s’il s’agit de membres de cours impériales, c’est la cour de cassation qui est compétente. Assurément il était juste de donner une protection particulière à ceux qui, chargés par leurs fonctions de disposer chaque jour du sort des citoyens, sont exposés dès lors à encourir leurs réclamations. Toutefois on peut s’étonner qu’en dehors des cas de prise à partie, rigoureusement limités[1], le juge soit affranchi de toute responsabilité. Il n’en était pas ainsi dans l’ancien droit, et M. Faustin Hélie l’a prouvé en reproduisant les considérations si élevées par lesquelles Pussort repoussait devant Louis XIV toute restriction mise à la responsabilité du juge. « Le juge, disait-il, est le dispensateur de la loi, et n’en est pas le maître. Il est fait pour la loi, et la loi n’est pas faite pour lui. Il est donc bien plus honnête que le juge obéisse à la loi, dont il est le ministre, que la loi au juge, dont elle est la supérieure. Le public ne pourrait recevoir aucun préjudice de la condamnation d’un juge qui

  1. Il y a prise à partie, d’après la loi, s’il y a dol, fraude ou concussion imputables au juge, et dans les cas spécialement déterminés, entre autres en cas d’inobservation des formalités prescrites pour les mandats et en cas d’incarcération arbitraire Code de procédure civile, art. 505.