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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/17

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cour d’Orient, devaient les irriter d’autant plus qu’elles arrivaient frappées d’un caractère presque officiel dans les vers du poète de Stilicon. Hosius, parvenu de la science, n’en était atteint que faiblement ; mais il avait eu le tort de remplacer à la maîtrise des offices un magistrat d’antique et austère probité, de qui l’on a pu dire « qu’il était la vertu vivante dans un corps mortel. » Cet homme de bien se nommait Marcellus ; né à Bordeaux et venu à Constantinople comme médecin de Théodose, il y avait embrassé la carrière administrative, qu’il quitta sans regret sous l’administration nouvelle. L’estime générale le vengea : retiré dans sa famille, Marcellus reprit ses études favorites et composa pour l’instruction de ses enfans un recueil de recettes médicales que nous possédons encore.

On a peine à s’imaginer l’étrange infatuation que la haute fortune d’Eutrope produisit parmi ses pareils. D’un bout à l’autre de l’Orient la caste des eunuques s’émut ; elle applaudit à son élévation, et, confondant sa cause avec celle du ministre sorti de ses rangs, elle forma pour lui dans l’empire une armée d’admirateurs fanatiques et d’espions volontaires, répandue partout et redoutable aux honnêtes gens. Malheur au maître qui eût exprimé librement sa pensée sur ce bouleversement des conditions ! il eût soulevé autour de lui bien des orages et compté presque autant d’ennemis que de domestiques. Bien plus, l’ambition s’empara de ces êtres repoussés de la société. Ils se crurent prédestinés tous à gouverner l’état, et on les vit de toutes parts accourir à Constantinople, solliciter tous les emplois, remplir d’un air triomphant les antichambres du ministre et les avenues du palais. Le ministre plaça le plus qu’il put de ces fidèles satellites. L’esprit des Orientaux, une fois exalté, arrive bien vite à la folie, et il se passa un phénomène que nous refuserions de croire, s’il n’était affirmé par un témoin oculaire, l’historien Eunapius, qui habitait alors l’Asie ; il nous raconte que plus d’un ambitieux à qui manquait le privilège des protégés d’Eutrope se mutila lui-même pour se rendre digne des honneurs, et que quelques-uns en moururent.


II

Tandis que ces événemens, à la fois tristes et burlesques, absorbaient l’attention de la cour d’Orient, Alaric s’emparait de la Grèce. Nous l’avons laissé, au mois de septembre de l’année 395, dans le nord ; de la Thessalie, assistant, de l’enceinte de son camp de chariots, à la dissolution de l’armée envoyée d’Occident contre lui et au double départ de Gaïnas et de Stilicon. Sitôt qu’il les vit éloignés, il s’empressa d’enlever ses palissades, d’atteler ses bœufs aux chariots,