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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/191

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« Rien n’est à nous ; — Le riche donne à dîner et se fait des amis, ses hôtes boivent et s’essuient la bouche : une fois partis, ils n’y pensent plus. Quand la fortune s’en va, le riche n’a plus d’amis.

« Qu’est-ce que la grandeur ? Rien ; la roue tourne.

« Qu’est-ce que la sagesse ? C’est de connaître sa folie.

« Qu’est-ce que la puissance ? La première place entre les fous.

« Qu’est-ce que le vêtement ? La livrée pour la grande comédie.

« Qu’est-ce que la vie ? Une flamme, tant que l’huile dure. »

L’ingratitude, que Linné a flétrie par son quatrième commandement et immédiatement à la suite des préceptes qui se rapportent à Dieu lui-même et aux desseins de Dieu sur l’homme, est à coup sûr un des crimes dont il est le plus vivement blessé, et auxquels il promet les châtimens les plus inévitables. Nous avons ici quelques témoignages irrécusables de cette bonté qui lui avait mérité la vénération publique, et avait fait de chacun de ses élèves un ami dévoué.

« Un paysan de la paroisse de Stenbohult renverse son père, le saisit par les cheveux et veut l’emporter hors de sa cabane. Arrivé au seuil, le vieillard s’écrie : « Arrête ! je n’ai pas traîné plus loin mon père… — Ah ! répond le fils, tu as traîné ton père jusqu’au seuil eh bien ! moi, je te traînerai jusqu’au ruisseau ! »

« Cederhielm, président d’une des hautes cours de Suède, s’est mal conduit envers son père. Plus tard, il envoie ses deux fils étudier à Paris. Ils y font des dettes ; ils vont être arrêtés. L’un d’eux se brûle la cervelle, l’autre reste toute sa vie prisonnier au Châtelet sans que son père l’en puisse retirer. »

Tout à côté de ces fils ingrats et punis, Linné réserve une place à son infidèle jardinier, à ce Broberg qui lui a volé une fleur, l’Adonis capensis, et l’a emportée à Stockholm. « Il m’a volé encore, s’écrie-t-il avec dépit, la valeriana tetranda, l’antholyza cepacea… Et le bocconia, quel chemin a-t-il pris ? »

Mais c’est le meurtre, objet de son cinquième commandement, et très fréquent dans les mœurs quelquefois violentes de la Suède au XVIIIe siècle, qui semble préoccuper, effrayer même Linné, comme le crime le plus antipathique aux lois divines et humaines, et le plus digne de la colère céleste.

« "Voigtlander, chirurgien militaire à Upsal, bretteur toujours prêt à passer son épée à travers le corps du premier qu’il rencontre, blesse un jour de la sorte un de ses amis, Cedercrona, et puis le guérit, au grand ébahissement de tous. Comme il courait toujours en voiture, comme un Jéhu furieux, dans les rues d’Upsal, il renverse une fois et estropie un pauvre diable, qu’on vit ensuite mendier toute sa vie dans la ville par suite de ces blessures. En 1760, Voigtlander est appelé en Poméranie. Bientôt il revient estropié lui-même à la suite de nouvelles imprudences, souffre longtemps, et puis meurt. Et le pauvre mendiant le voit porter en terre.