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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/193

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Goertz, favori de Charles XII, a succombé, suivant lui, sous de telles intrigues, qui l’ont fait condamner injustement. « Le roi étant inviolable, on s’en était pris au ministre, dit-il, des guerres incessantes qui avaient ruiné la Suède ; on lui avait encore attribué la monnaie de nécessité inventée par Polhem. Une fois Charles XII tué en Norvège, la colère publique s’abat sur Goertz, désormais sans défense ; il faut qu’il meure. Une commission est instituée. L’accusateur Fehman articule contre Goertz des griefs ridicules, comme d’avoir calomnié les serviteurs du roi, d’avoir dit que tel préfet était lent à exécuter les ordres,… et Goertz est condamné à mort. — Mais avant la fin de l’année le président de la commission meurt ; il n’est pas un de ses assesseurs qui ne subisse quelque funeste coup de la fortune ; le plus gai d’entre eux meurt d’humeur noire. »

Sur ce chapitre des intrigues ourdies pour quelque vil intérêt d’élévation personnelle ou de gain sordide, Linné se montre inépuisable, et la fécondité de son récit amène les plus curieuses anecdotes sur l’histoire de son temps. On voit que, dans son dessein de convaincre un jeune homme par le spectacle de l’expérience, il a sans cesse noté les exemples qui se présentaient à lui, soit du milieu des affaires publiques, soit dans le cercle restreint de sa vie de professeur, parmi les petites agitations intérieures du consistoire d’Upsal :

« Alexandre Blackwell, sur la demande d’Ahlstroemer, est appelé d’Angleterre en Suède. Il était docteur en médecine, mais fort ignorant et entièrement athée. Ahlstroemer ne l’en reçoit pas moins comme un fils, mais il apprend bientôt que Blackwell, dans sa correspondance en Angleterre, prépare sa ruine et celle de Tessin pour étouffer ensuite l’industrie naissante de la Suède ; bien plus, qu’en renversant les ministres, il espère, après avoir gagné la coopération du roi lui-même, faire nommer un prince anglais successeur au trône suédois. Aussitôt la perte de Blackwell est résolue. Un inconnu se présente à lui, se prétend envoyé exprès du lord-chancelier d’Angleterre, l’engage à aller trouver le roi de Suède et à lui offrir de la part du cabinet de Londres une forte somme et la souveraineté absolue pour prix du choix d’un successeur anglais. Le roi, de son côté, averti d’avance, reçoit Blackwell, accueille ses prétendues lettres de crédit et son offre de souveraineté, et le livre au grand-maréchal. Blackwell est pris, jugé et pendu. Jamais on n’a su qui avait été l’inconnu. Les Anglais ont repoussé toute connivence. — Quand la maison de Tessin fut démolie pour une réparation, on trouva un cadavre dans un mur ; était-ce celui de cet homme ? Je ne crois pas facilement que le pieux Tessin eût pu commettre une telle action, bien qu’à vrai dire ce soient des bagatelles pour les puissans. Ce Blackwell avait bien mérité son sort. Marié en Angleterre et logé à Stockholm chez un marchand, il séduisit la femme de son hôte ; un soir, celui-ci se trouvant un peu indisposé, Blackwell, comme médecin, lui fit une ordonnance ; le lendemain matin, le marchand était mort. — Le président