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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/318

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MYS.

Pourquoi les coupez-vous par tranches ?

COLOTÈS.

Pour les dérouler. Chaque tronçon forme un cylindre que nous développons ensuite, afin d’obtenir plus de surface.

MYS.

Et l’ivoire s’amollit facilement ?

COLOTÈS.

En moins de six heures, si tu le fais bouillir avec des racines de mandragore.

MYS.

Cependant je vois de l’orge dans cette chaudière.

COLOTÈS.

Phidias emploie aussi l’orge fermentée : c’est plus long, mais c’est moins cher.

MYS.

Phidias sait ménager le trésor public. Vous avez déjà beaucoup de plaques d’ivoire prêtes à être assemblées et sculptées.

COLOTÈS.

Nous n’en saurions préparer un trop grand nombre. Tu peux te figurer combien il en faudra pour couvrir un colosse haut de trente coudées.

MYS.

Le colosse en bronze dont j’ai ciselé le bouclier, il y a vingt ans, a quarante-cinq coudées.

COLOTÈS.

Il n’est qu’en bronze.

MYS.

Pourquoi dédaigner le bronze, Colotès ? Aucun métal n’est plus propre à faire ressortir la beauté d’une statue. Vois quel parti en tirent les Corinthiens, tandis que l’or, qui vous paraît aujourd’hui préférable, n’a qu’un éclat monotone.

COLOTÈS.

Attends pour nous condamner. Phidias veut justement que nous donnions à l’or les tons les plus variés, sans lui rien ôter de son feu. Tous les ouvriers qui sont avec moi ne font que des essais : ils cherchent des alliages, des degrés de fusion, des teintures. Chaque jour Phidias nous dirige et nous découvre un nouveau secret. N’en doute pas, les vêtemens de Minerve seront un tissu de lumière aussi riche qu’harmonieux.

MYS.

En effet, Phidias ne le cède en science à aucun des philosophes qui ont interrogé la nature. À peine revenu d’Argos, il nous enseignait déjà tous les procédés des fondeurs du Péloponèse. Quel homme admirable ! Il excelle dans les plus petites choses aussi bien que dans les plus grandes. Il pense comme un sage et travaille comme un artisan.

COLOTÈS.

Ne nous dit-il pas lui-même que la main fait la moitié du génie ?