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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/338

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disloqua d’un mot l’expédition et la fit diriger vers la Sicile sous la conduite de ses principaux chefs, à l’exception du colonel Piangiani, qui, engagé d’honneur à envahir les états du pape, crut devoir se retirer quand il se vit en opposition avec le général en chef de l’armée méridionale. Quelque secrets qu’eussent été les préparatifs qui avaient présidé à cette expédition, le ministère piémontais en avait eu connaissance, et il s’était montré fermement résolu à s’y opposer, fût-ce par la force ; aussi, le jour même où le colonel Piangiani s’embarquait à Gênes pour aller rejoindre son corps d’armée, cantonné en Sardaigne, dans la position marécageuse et mal choisie de Terra-Nuova, trois bataillons de bersaglieri, arrivés en hâte de Turin, montaient à bord d’une frégate de l’état qui devait les transporter en Toscane, sur la frontière des états pontificaux, et les mettre à même d’empêcher toute descente armée des volontaires. Sans la détermination à la fois vigoureuse et prudente de Garibaldi, que serait-il arrivé ? Un conflit avec le gouvernement piémontais, qui marchait au même but, mais par d’autres moyens, ou une défection des troupes royales, qui eussent passé à l’armée insurrectionnelle pour combattre à ses côtés les soldats de la papauté ; dans ces deux cas, un acte déplorable, que la sagesse devait éviter, et qui pouvait retarder pour longtemps l’œuvre près de s’accomplir.

J’avais assisté au départ de Piangiani ; plus tard, son corps de troupes, dirigé d’abord sur Melazzo et sur le Phare, prit pied en terre ferme ; dans la Calabre citérieure, à Sapri, là même où Pisacane était descendu vers la mort, rejoignit l’armée méridionale sous les murs de Capoue, et se mêla activement aux combats que, pendant deux mois, les volontaires eurent à soutenir sur les rives du Vulturne contre les soldats de François II. Ce fut le lundi 13 août que les derniers hommes de cette expédition, qui trois jours après devait être dissoute, s’embarquèrent à midi, escortés par une partie de la population génoise, qui les saluait de ses adieux et de ses souhaits ardens. Le soir, ce fut notre tour.

Un bateau à vapeur avait été mis à notre disposition. Le soir donc, vers dix heures, sans uniformes, le général Türr, le comte Sandor Teleki, le colonel Frapolli et moi, nous prîmes la route de la Marine. Une barque nous attendait. La nuit était splendide, sans lune et pétillante d’étoiles. Nous passâmes à travers les navires endormis, et en quelques coups de rames nous fûmes arrivés à l’échelle de la Provence. Chacun de nous reconnut la cabine qui lui était destinée, puis on remonta sur le pont, on s’assit, et sans parler on contempla le ciel, où la lumière du phare de Gênes se détachait comme un météore immense. Tout départ a quelque chose de grand et de profond ; celui-ci empruntait aux circonstances