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jamais se livrer à aucun de ces travaux de longue haleine qui augmentent le rendement de la terre et en améliorent l’état foncier. Il peut tout au plus, comme dans les cas de culture triennale et d’engagemens souscrits pour trois, six ou neuf ans, bien préparer le sol pendant la première période, en profiter la seconde et en abuser la troisième. Or, pour rendre une terre fertile, il faut souvent la labourer profondément, la marner, l’assainir, la drainer ; il faut toujours la fumer largement, la nettoyer des mauvaises herbes, la débarrasser des pierres trop grosses et des obstacles étrangers qui s’y trouvent. Ces travaux sont coûteux, et ils ne produisent pas immédiatement tout leur effet utile. Comment donc les entreprendre, si l’on n’a pas les ressources nécessaires, et si le temps manque pour en recueillir les fruits ? Puis, lorsqu’on est entré dans cette voie d’amélioration, et la terre devenant plus féconde, on peut vouloir s’écarter avec raison des habitudes locales pour modifier la culture d’après l’état du sol, d’après les besoins du bétail et du commerce, d’après la marche des saisons, pour demander à la ferme plus de céréales ou plus de fourrages, pour introduire une plante inconnue au pays, ou pour cultiver sur une large échelle des produits jusqu’alors bornés à de petites étendues. Comment agir de la sorte, si l’on n’a pas une liberté d’action assez large ?

Richesse relative, long bail, liberté d’action, telles sont les trois conditions indispensables à un bon fermier. Il y a (les dernières années du bail exceptées) solidarité complète entre les intérêts du fermier et ceux du propriétaire. Celui-là trouve un plus grand bénéfice, celui-ci une plus grande valeur foncière dans des champs qui deviennent meilleurs. L’un et l’autre ne doivent-ils pas s’entendre pour concourir au même but ? La richesse dont le fermier dispose est la plupart du temps insuffisante ; on a rarement la bonne fortune de rencontrer des locataires qui, comme l’institut de Grignon, font par chaque hectare une avance de 1,000 francs, ou bien, comme M. Vallerand à Moufflaye (Aisne), élèvent successivement leur capital de 260 à 800 francs par hectare. Il faut cependant se défier de ces paysans trop pauvres pour organiser une bonne exploitation, et qui sont en si grand nombre dans les contrées de petite culture. Le code civil a beau accorder au maître, par l’article 2102, un privilége efficace sur le mobilier qui garnit sa ferme, on conviendra qu’il répugne de recourir aux saisies légales pour s’assurer le paiement du fermage. Et puis, en dehors de cette considération, comment le malheureux contre lequel on est réduit à exercer un pareil droit a-t-il pu soigner sa terre ? Les engrais, les travaux ont manqué, le sol a donc souffert ; le propriétaire finira peut-être par se faire payer, mais la dépréciation de son domaine sera l’inévitable conséquence du désastre subi