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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/467

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Pour qui ne voit que le présent, cette impression s’explique ; mais que les écrivains dont nous parlons ne mesurent pas la vie des peuples et des races à la vie des individus, qu’ils songent à ce que fut notre Europe, à ce qui s’est passé à Pitcairn, et ils se rassureront. Ce qui se voyait en France même aux temps de la trêve de Dieu et de la quarantaine du roi ne valait certes pas mieux que ce qui existe de nos jours en Amérique, et nous sommes loin de ces temps-là. Pitcairn aussi a eu son moyen âge de trois ou quatre ans ; la durée en a été en rapport avec le nombre des élémens qu’il fallait fondre ou éliminer. En Europe, ce travail a exigé des siècles ; il en faudra peut-être autant à l’Amérique ; mais Pitcairn a eu sa renaissance sociale, comme nous avons eu la nôtre, comme le Nouveau-Monde aura la sienne, et certainement les races de l’avenir nous seront supérieures à certains égards, comme nous le sommes sous d’autres rapports aux races assyrienne, grecque et romaine.

Revenons à la question principale, et résumons en quelques mots l’ensemble des considérations qui précèdent. — Nous venons de passer en revue quelques-unes des objections faites au monogénisme par les partisans de la doctrine contraire, nous pousserons plus loin cet examen dans une dernière étude ; mais dès à présent on voit sur quoi reposent la plupart de ces argumens. Le possible y joue un grand rôle, et c’est un triste terrain pour le vrai savant. Bien loin de s’en tenir aux temps, aux lieux que peuvent embrasser l’expérience et l’observation, aux phénomènes relevant de la physiologie actuelle, le polygéniste remonte volontiers aux origines, et quiconque refuse de le suivre sur ce terrain peu sûr est immédiatement traité d’homme qu’enchaînent les préjugés d’un autre âge, ou tout au moins d’esprit étranger à toute philosophie. L’école américaine, tout en agissant trop souvent de la même manière, a fait du moins des tentatives sérieuses pour donner à ses croyances une base plus solide ; mais elle a mérité de bien autres reproches. La discussion tout entière roulait sur deux ordres de faits bien distincts, essentiellement du ressort des sciences naturelles, que tous les naturalistes avaient distingués et désignés par des mots différens, celui d’espèce et celui de race. Qu’a fait l’école américaine ? Elle a tantôt supprimé l’un de ces mots, tantôt employé indifféremment les deux termes. Aux yeux des hommes peu familiers avec les sciences naturelles, elle a ainsi confondu les choses et brouillé les idées ; mais, lorsqu’oubliant tous les travaux de ses prédécesseurs, elle a voulu, même à travers les nuages qu’elle avait fait naître, porter un peu loin l’étude des phénomènes, il lui est arrivé ce qui était arrivé aux écoles européennes les plus opposées en théorie. Dominées par les faits, celles-ci s’étaient rencontrées dans la pratique ; dominée aussi par les faits,