Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/512

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

début de la guerre. Ces espérances étant aujourd’hui détruites, il en coûterait moins de sauter le pas. Veut-on demeurer dans l’indécision, attendre que l’événement nous apporte une solution ? Ce sera moins courageux, mais ce sera peu rassurant. L’événement attendu, quel pourrait-il être ? Une nouvelle guerre entre l’Italie et l’Autriche ? Ne serait-il pas fâcheux pour la sécurité générale d’avoir seulement l’air de regarder cette perspective comme prochaine, et de ne plus rester à Rome que pour y occuper une position stratégique ?

Restons, comme la situation même, sur ce point d’interrogation. Après la question italienne, un seul incident a produit une certaine émotion, nous voulons parler du discours écrit que M. Dupin a prononcé à propos de la déconfiture d’un grand établissement financier, qui donne lieu à des poursuites judiciaires d’une nature telle que M. le ministre de la justice a cru opportun de les annoncer dans un rapport à l’empereur. Le discours de M. Dupin mérite d’être relevé par la presse. L’honorable sénateur a pris en effet les journaux à partie. Il leur a reproché d’avoir manqué à leur mission de vigilante sentinelle, et de n’avoir pas éclairé le public sur les dangers des spéculations hasardeuses de la maison incriminée. Si nous reprochions à M. Dupin de n’avoir point lui-même, de son banc du sénat, donné plus tôt au public des avertissemens utiles sur les périlleuses opérations de la spéculation, M. Dupin nous accuserait d’injustice, et il aurait parfaitement raison, car avant le décret du 24 novembre les séances du sénat étaient secrètes, et il était impossible à M. Dupin de nous faire part de ses bons avis. Eh bien ! l’illustre procureur-général ne commet pas une moindre injustice à l’égard de la presse. La liberté des journaux attend encore en effet son décret du 24 novembre. M. Dupin nous fait certes beaucoup d’honneur en nous conviant au rôle d’avocats-généraux amateurs et de procureurs-généraux volontaires. Il n’oublie qu’une chose, c’est que la législation de la presse met à l’exercice de cette fonction certains obstacles et y attache certains périls qui n’échaufferaient probablement pas son courage, s’il était à, notre place. D’abord la presse est sous le régime du privilège, puisqu’il faut, pour fonder un journal, une autorisation administrative. Il est évident que le monopole nuit à l’indépendance de la presse ; l’espèce même sur laquelle s’est exercée l’éloquence de M. Dupin en fournit la preuve, puisque, des six grands journaux de la presse parisienne, la maison de banque incriminée était parvenue à en acquérir trois, et que, sur ces trois, deux étaient des journaux officieux. En outre, les journaux sont exposés à la suppression après trois avertissemens ou après deux condamnations que les plus simples contraventions peuvent appeler sur leurs têtes. Rien n’est donc précaire comme la propriété des journaux, et comme on ne peut critiquer des opérations financières qui touchent à des intérêts privés sans s’exposer à des procès, M. Dupin ne s’étonnera point si les journaux ne vont pas volontiers au-devant d’affaires qui, non-seulement peuvent attirer aux écrivains toute sorte de désagrémens personnels, mais qui peuvent encore devenir pour les journaux