Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/62

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

vrai de certains individus d’une classe est vrai de toute la classe, ou que ce qui est vrai en certains temps sera vrai en tout temps, les circonstances étant pareilles. » C’est le raisonnement par lequel, ayant remarqué que Pierre, Jean et un nombre plus ou moins grand d’hommes sont morts, nous concluons que tout homme mourra.

— Bien, l’induction lie la mortalité et la qualité d’homme, c’est-à-dire deux faits généraux ordinairement successifs, et déclare que le premier est la cause du second. Voilà encore un mot métaphysique. Qu’est-ce que Mill en fait ?

— Il le chasse comme tous les autres. Quand il dit que le contact du fer et de l’air humide produit la rouille, ou que la chaleur dilate les corps, il ne parle pas du lien mystérieux par lequel les métaphysiciens attachent la cause à l’effet. Il ne s’occupe pas de la force intime et de la vertu génératrice que certaines philosophies insèrent entre le producteur et le produit. « La seule notion, dit-il[1], dont l’induction ait besoin à cet égard peut être donnée par l’expérience. Nous apprenons par l’expérience qu’il y a dans la nature un ordre de succession invariable, et que chaque fait y est toujours précédé par un autre fait. Nous appelons cause l’antécédent invariable, effet le conséquent invariable. » Au fond, nous ne mettons rien d’autre sous ces deux mots. Nous voulons dire simplement que toujours, partout, le contact du fer et de l’air humide sera suivi par l’apparition de la rouille, l’application de la chaleur par la dilatation du corps. « La cause réelle est la série des conditions, l’ensemble des antécédens sans lesquels l’effet ne serait pas arrivé… Il n’y a pas de fondement scientifique dans la distinction que l’on fait entre la cause d’un phénomène et ses conditions… La distinction que l’on établit entre le patient et l’agent est purement verbale… La cause est la somme des conditions négatives et positives prises ensemble, la totalité des circonstances et contingences de toute espèce, lesquelles, une fois données, sont invariablement suivies du conséquent. » On fait grand bruit du mot nécessaire. « Ce qui est nécessaire, ce qui ne peut pas ne pas être, est ce qui arrivera, quelles que soient les suppositions que nous puissions faire à propos de toutes les autres choses. » Voilà tout ce que l’on veut dire quand on prétend que la notion de cause enferme la notion de nécessité. On veut dire que l’antécédent est suffisant et complet, qu’il n’y a pas besoin d’en supposer un autre que lui, qu’il contient toutes les conditions requises, que nulle autre condition n’est exigée. Succéder sans condition, voilà toute la notion d’effet et de cause. Nous n’en avons pas d’autre. Les philosophes se méprennent quand ils découvrent dans notre volonté

  1. Tome Ier, p. 338, 340, 341, 345, 351.