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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/642

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M. Reclus[1]. Dans ce travail, que nous avons déjà cité, le voyageur, traduisant simplement les impressions qu’il éprouve en dehors de toute controverse, s’exprime ainsi : « Si d’autres influences ne balançaient celles du climat, il se pourrait bien qu’après un certain laps de siècles, les Américains eussent tous la couleur des aborigènes, leurs ancêtres fussent-ils venus de l’Irlande, de la France ou du Congo. » En sera-t-il réellement ainsi ? Nous ne saurions répondre encore ; mais, ne fût-ce que pour la couleur, une transformation qui identifierait le nègre et le blanc nous paraît bien difficile : elle est, selon toute apparence, impossible pour l’ensemble des caractères. Sans croisement et par l’action seule du milieu, le nègre ne deviendra jamais un blanc, le blanc ne se transformera jamais en nègre. Sur ce point, nous sommes entièrement d’accord avec les polygénistes ; mais ils tirent de ce fait la conclusion que ces deux hommes sont d’espèce différente, et c’est là ce que nous n’admettons pas. Pour décider qui des deux a raison, revenons-en aux enseignemens tirés des races domestiques.

Lorsque les éleveurs anglais ont cherché à modifier la race de Leicester et la race de la Tees, bien que les procédés employés aient été identiques, souvent mis en œuvre par les mêmes personnes, et toujours dirigés dans le même sens, ont-ils obtenu des résultats semblables ? Non. Le leicester s’est transformées dishley, le tees-water en durham, et jamais un éleveur ne confondra ces deux races. Déjà nous avons fait remarquer la conséquence qui résulte de ce fait et d’autres faits analogues : — une race nouvelle n’est jamais un produit simple ; pour employer le langage des mathématiciens, elle est toujours une résultante dont les deux composantes sont la race primitive d’une part, la nature du milieu de l’autre. Que l’un des élémens change, et le résultat changera aussi, comme change la résultante dont l’une des composantes est changée. — Par conséquent l’homme de race aryane et l’homme de race sémitique, modifiés tous deux par le climat de l’Inde, ne pourront donner, quelque laps de temps qui s’écoule, un seul et même homme, une seule et même race. Voilà pourquoi, après mille ans, le Juif de Cochin est encore distinct du véritable Hindou ; pourquoi, tout en prenant peut-être quelques caractères communs, le nègre et l’Anglo-Saxon se distingueront toujours l’un de l’autre sur la terre d’Amérique. Voilà pourquoi encore le nègre transporté en Europe ne deviendra jamais un vrai Caucasien, quand même son teint blanchirait, et pourquoi l’Européen ne sera jamais un vrai nègre, quand même son teint noircirait. Les races dérivées de troncs différens sous des influences identiques peuvent bien se rapprocher en prenant quelques caractères

  1. Voyez la Revue du 1er août 1859.