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hérissée de chaînons de montagnes isolés, presque tous uniformément parallèles au méridien et séparés les uns des autres par de larges vallées qui, vues de loin, ressemblent à des bras de mer : quelques-unes de ces vallées sont arrosées par des rivières permanentes, telles que le Jourdain ; mais la plupart n’offrent que des ruisseaux temporaires, aux eaux limoneuses et chargées de soude, ou même des courans souterrains à peine révélés par l’humidité saline qui suinte à la surface du sol. Aucune rivière d’Utah ne se déverse dans un des grands fleuves qui descendent des Montagnes-Rocheuses vers l’Océan ; toutes se jettent dans les lacs salés, ou bien se perdent au milieu des sables, en formant à leur extrémité des étangs marécageux.

Le pays d’Utah, tel qu’il fut cédé en 1848 aux États-Unis par le traité de Guadalupe-Hidalgo, est presque aussi grand que la France ; les mormons en occupent seulement la partie orientale. Leurs principaux centres de population sont situés à la base des monts Wahsatch, dans la vallée du Jourdain et près des bords du Grand-Lac-Salé, l’une des mers intérieures les plus remarquables de la terre. Ce lac, dont la vraie forme n’est connue que depuis 1850, grâce aux explorations du capitaine Stansbury, n’a pas moins de cent lieues de tour ; mais sa profondeur n’est pas considérable : elle ne dépasse pas 10 mètres, et en moyenne elle n’est que de 2 mètres environ. Au milieu du lac, plusieurs îles dressent leurs escarpemens rocheux à 1,000 mètres ou davantage ; la plus grande, qui est en même temps la plus rapprochée de la capitale des mormons, Antelope-Island, est reliée au continent par une langue de sable presque toujours à sec en été, mais souvent inondée après les grandes pluies et pendant les tempêtes. Stansbury-Island, la seconde île pour l’étendue, est aussi rattachée à la terre par un isthme étroit ; elle offre de beaux pâturages, et les agriculteurs voisins y envoient leurs troupeaux pour les mettre à l’abri des incursions des Indiens.

Les eaux du Grand-Lac tiennent en dissolution une énorme quantité de substances salines. Le degré de salure varie suivant les saisons, la durée des pluies ou des sécheresses ; mais il est toujours beaucoup plus considérable que celui de l’Océan. Il est impossible d’enfoncer dans le lac, et par un beau temps on pourrait s’endormir sur ses flots sans courir le risque de se noyer. Cependant il est très difficile de nager à cause des efforts qu’on est obligé de faire pour maintenir ses jambes au-dessous de la surface. Une simple gouttelette tombée dans l’œil fait cruellement souffrir, et l’eau ingurgitée détermine des accès de toux spasmodique. Le capitaine Stansbury doute que le nageur le plus expérimenté pût éviter la mort, s’il était exposé loin du rivage à la violence des vagues et du vent.