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grande distinction et infatigable. On ne l’a jamais vu qu’au premier rang. à la bataille du Vulturne, où il commandait une brigade, si notre droite, déjà débordée par les Napolitains, n’a pas perdu sa position, c’est sans aucun doute à lui qu’on le doit. Il était fort aimé de ses troupes, qui l’avaient surnommé le colonel Dunque, car c’est par ce mot qu’il commençait invariablement toutes ses phrases.

Au milieu de nos causeries, nous traversâmes le village de Soveria, encore embarrassé par l’artillerie et les caissons que le général Ghio avait abandonnés. Nos pauvres chevaux, peu habitués à de pareilles étapes, ralentissaient le pas pour nous attendrir. Vers minuit, ils s’arrêtèrent tout net, déclarant, à leur manière, qu’ils n’iraient pas plus loin. Force nous fut de faire halte. Nous trouvâmes un ruisseau près duquel nous nous établîmes ; nous tirâmes la voiture hors de la route ; bêtes et gens se mirent à manger. Nous étions couchés sous un grand chêne ; la fée du ruisseau murmurait à mi-voix une petite cantilène argentine, les étoiles nous regardaient de leurs doux yeux d’or, et les menthes versaient près de nous le parfum des fraîcheurs matinales.

À trois heures, on fut debout, et, les chevaux attelés, on partit. Quel pays ! à chaque pas éclatent des végétations splendides ! Jamais la vieille Cybèle ne m’est apparue si féconde ; incessamment elle demande à produire. Quoi qu’on puisse exiger d’elle, elle est toujours prête : depuis les fruits des arbres vigoureux qu’elle porte à sa surface jusqu’aux marbres et aux métaux qu’elle garde encore dans ses entrailles, elle ne demande qu’à donner à l’homme, qui daigne à peine se pencher vers elle. Nelson pourrait encore écrire cette phrase accablante pour l’administration napolitaine : « J’ai sous les yeux le plus beau pays du monde et le plus fécond en ressources ; cependant on n’y trouve pas de quoi suffire aux besoins publics[1]. » — « Riches terres, gens de paresse ; terres pauvres, gens de travail : » le proverbe a raison.

Nous avions bien des chevaux et une voiture, mais en réalité nous fîmes presque toute la route à pied, car nos pauvres bêtes, à moitié fourbues, avaient grand’peine à se traîner elles-mêmes. Nous franchîmes le fleuve Savuto, qui n’est guère m’oins à sec que toutes les rivières déjà traversées, et nous arrivâmes enfin à Rogliano, précédant notre voiture, qui nous suivait de loin comme elle pouvait. À Rogliano, nous découvrîmes la poste, et dans l’écurie des chevaux frais. Deux postillons, enrubannés à toutes les boutonnières, sautèrent en selle, et nous partîmes comme la foudre. Le paysage, devenu plus calme, donne moins de place aux arbres et s’étend en

  1. Histoire de Nelson, d’après les dépêches officielles, etc., par E.-D. Forgues.