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avec la ligne du Don, qui est avec le Volga l’une des plus grandes artères de la Russie, elle maintient l’occupation de la Crimée, la domination de la Mer-Noire ; au sud, elle commande les plus belles provinces asiatiques de la Turquie, la péninsule anatolique et la contrée d’où s’épanche le Tigre et où l’Euphrate prend sa source pour atteindre le golfe Persique. Dans cette forte position, la Russie peut attendre l’avenir avec patience ; c’est le joueur qui a les plus belles cartes entre les mains, et auquel ne manque pas l’habileté nécessaire pour s’assurer les profits de la partie.


IV. — LE CAUCASE ORIENTAL. — LES TCHETCHENSES. — LES LEZGUIS.

La grande route qui coupe le Caucase dans toute sa largeur et relie la Russie méridionale avec Tiflis n’est pas seulement une démarcation stratégique qui divise la chaîne en deux parties, le flanc droit et le flanc gauche : c’est aussi une limite ethnographique qu’indiquent des contrastes bien tranchés. Cette différence est saillante dans les mœurs, la religion, les formes du gouvernement et la constitution physiologique des populations. Lorsque, croisant cette route, on passe des plaines fertiles de la Kabarda dans les verdoyantes et pittoresques forêts de la Tchetchenia, le Tcherkesse aux instincts aristocratiques et chevaleresques, aux croyances hybrides et incertaines, a disparu pour faire place au montagnard musulman exclusif, plébéien dans sa manière de vivre et de combattre, et républicain absolu.

Parmi les peuplades du Caucase oriental, aucune ne réunit mieux les traits de ce caractère et ne les manifeste avec plus d’énergie que celle des Tchetchenses, la plus considérable, la plus puissante des tribus de race kiste. Ces tribus, qui forment un ensemble de cent quatre-vingt-dix-huit mille âmes, sont disséminées dans les vallées boisées qui servent de lit aux deux principaux affluens de la rive droite du Térek, la Soundja et l’Argoun, — immenses et profonds ravins qui, s’ouvrant à partir du massif central du Daghestan, vont aboutir, en s’élargissant et en s’effaçant peu à peu, jusque sur les bords de ce fleuve. C’est dans ces lieux, dont l’aspect devient de plus en plus sauvage à mesure que l’on s’y enfonce davantage, que les Tchetchenses ont pu braver si longtemps les armes de la Russie, et rester les derniers comme les plus intrépides et les plus ardens auxiliaires de Schamyl. C’est chez eux que l’imâm possédait ses retraites les plus sûres, ses places d’armes les plus fortes.

Rien ne donne mieux l’idée de ce que peut l’islamisme sur le cœur de ses adhérens, et de son action au Caucase dans la guerre sainte, que la résistance opiniâtre et prolongée des Tchetchenses,