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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/984

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et grossières, au caractère mâle et belliqueux, énergique contre toutes les fatigues et tous les obstacles, passionné pour son indépendance. Égaux aux Tcherkesses par la solidité de leurs qualités militaires, ils n’ont cependant aucune étincelle de cet esprit chevaleresque qui anime les nobles Adighés. Jetés au milieu d’une contrée infertile, ils ont su se créer des ressources avec une merveilleuse industrie, et arracher, à force de labeur et de persévérance, à un sol ingrat les trésors qu’il leur refusait. D’étroites terrasses, construites sur la pente des rochers avec de la terre végétale transportée à dos d’hommes ou d’animaux et soutenues par des murs en pierre, sont devenues entre leurs mains de charmans jardins, où la fraîcheur est entretenue par des irrigations habilement ménagées. Une bordure d’arbres fruitiers et de ceps de vigne encadre des plantations de maïs, nourriture à peu près unique de ces sobres montagnards. Le besoin de se garantir contre des agressions toujours menaçantes les a groupés dans des aoûls qui renferment quelquefois plusieurs milliers d’habitans. Ces villages sont construits pour la plupart dans des lieux de difficile accès, que leur position même met déjà à l’abri d’un coup de main. Les maisons s’élèvent en amphithéâtre ; très rapprochées les unes des autres, elles sont à plusieurs étages, et souvent défendues par un mur d’enceinte et des tours. Elles réunissent ordinairement plusieurs familles. Chacune de ces habitations devient, en cas de danger, une véritable forteresse, et peut soutenir un siège. On conçoit que la conquête de ces aoûls ait été extrêmement difficile et meurtrière. À Akhoulgo notamment, nid d’aigle perché sur une des cimes les plus élevées, dans le nord du Daghestan, et où Schamyl s’était retranché en 1840, la rampe de la montagne était du haut en bas jonchée de cadavres entassés, lorsque les vainqueurs purent y pénétrer.

Antérieurement à la domination de Schamyl, les Lezghis étaient organisés, à peu près comme les Tchetchenses, en communes formant chacune une république, régie administrativement par un ancien, et pour les affaires litigieuses par un kadhi. Les états limitrophes, principalement sur le littoral de la Mer-Caspienne, obéissaient à des princes investis du titre de khan et d’un pouvoir monarchique absolu. Malgré cette diversité de gouvernemens, les uns et les autres se rapprochaient dans une étroite alliance pour repousser une agression ou entreprendre une expédition au dehors. C’est sans doute cette différence d’institutions qui a incliné les khans vers la Russie et leur a fait accepter facilement son protectorat en échange des décorations, des pensions et des titres prodigués, tandis que les Lezghis se sont toujours montrés réfractaires. Les défections qui se sont produites dans la guerre actuelle ont été provoquées par les mesures maladroites ou blessantes des officiers de