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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/19

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L’INSURRECTION CHINOISE.

nées par le rituel de l’association, et dont chacune est accompagnée d’imprécations ; il les a vus boire à la coupe où ils venaient de mêler quelques gouttes de leur sang et aller ensuite s’asseoir parmi leurs nouveaux frères. Ces hommes, avant le milieu de la nuit, étaient tous ivres d’eau-de-vie et d’opium. Ils se séparèrent au point du jour ; deux cents d’entre eux allèrent dévaliser, au milieu de Singapour, la maison d’un missionnaire catholique, et, pendant le mois qui suivit, ils signalèrent leur audace par de nombreux méfaits. Une jonque siamoise mouillée dans le port fut dépouillée de tout ce qu’elle contenait ; un canon fut enlevé, ainsi que le cipaye qui le gardait ; ils déjouèrent tous les efforts et toutes les ruses de la police. — Le récit de M. Abdullah portait la date de 1824. En 1831, le révérend docteur Gutslaff, qui se trouvait alors à Siam, y put constater de ses propres yeux la présence d’un grand nombre d’associés de la Triade. Ils étaient un sujet d’effroi pour toute la colonie chinoise, sur laquelle ils frappaient souvent des contributions, et le gouvernement siamois lui-même n’osait les assujettir aux humiliations qu’il imposait à leurs compatriotes.

Ainsi non-seulement la Triade signalait sa présence sur le continent et dans la plupart des provinces, mais on la retrouvait encore établie et puissante aux colonies. L’existence de cette secte devenait un fait permanent dans la société chinoise et comme un mal inhérent à cette société. De redoutables élémens de révolte contre le pouvoir des princes mandchoux étaient ainsi répandus dans tout l’empire. Si l’on songe que ces élémens tirent toute leur force de l’impatience avec laquelle le peuple chinois supporte la domination de ses conquérans, et que les injustices, les violences, les corruptions du gouvernement soulèvent contre la dynastie des Tsing une haine croissante, si l’on songe que, pour remplir ses coffres, vidés entre les mains des Anglais après la guerre ruineuse de 1842, le gouvernement chinois a mis à l’encan la plupart des dignités de l’état ; si l’on réfléchit à ce que doit être l’immoralité d’une armée de fonctionnaires exerçant un pouvoir absolu que leur ont acquis leurs seules richesses et aux maux de toute sorte qu’engendre pour le peuple cette immoralité sans contrôle, on se convaincra qu’il ne faut voir dans l’insurrection chinoise que l’œuvre des sociétés secrètes, et particulièrement de la Triade. Toutefois il semble que le but vers lequel tendaient les efforts de l’association ait changé de nature aussitôt qu’elle a mis les armes à la main. Ce but, d’abord exclusivement politique, paraît avoir pris, il y a onze ans déjà, un caractère religieux très remarquable, et les vues originaires de la Triade ont été ainsi dépassées au profit de la civilisation et du progrès.