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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/622

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lisent, et que les navires puissent aller librement de la Caspienne dans la Mer-Noire ; bien plus, supposons que, par un judicieux aménagement des eaux de l’Oxus, on fasse communiquer la Mer-Caspienne avec la mer d’Aral et que l’on continue celle-ci vers l’Océan-Arctique au moyen des lacs en chapelet et des rivières de la Sibérie méridionale ; affirmons avec M. Bergstræsser qu’il suffit de suivre les indications données par la nature elle-même, partout où elle a laissé des traces de son passage, pour refaire son œuvre et conduire de nouveau les bras de mer à travers les continens : eh bien ! quand même ces grands travaux seraient accomplis, quand même les steppes seraient sillonnés de routes et les bords de la Caspienne pourvus de docks et d’entrepôts, la civilisation n’y gagnerait que de faibles avantages, si les peuples qui habitent les contrées aralo-caspiennes ne recouvraient pas en même temps leur initiative. Avec sa toute-puissance, qu’a su faire la Russie de ces pays conquis ? Sans doute, elle a fait explorer ces vastes contrées et favorisé le progrès de la géographie physique: mais, en faisant étudier le sol, elle a négligé la prospérité du peuple. Au lieu de coloniser les bords de la Caspienne et de donner à cette mer la grande importance commerciale qu’elle devrait avoir, les conquérans moscovites n’ont su que dévaster et appauvrir. Dans ces régions jadis peuplées, le despotisme a fait la solitude.

À l’époque de la migration des peuples, alors que les guerriers de l’Asie se rendaient à la curée de l’empire romain, les tribus s’abattaient tour à tour sur les steppes de la Caspienne comme des légions de sauterelles, et pendant plusieurs siècles ces contrées firent partie du grand atelier des peuples (officina ou vagina gentium) d’où surgissaient sans cesse de nouvelles hordes de barbares poussant leur cri de guerre et de massacre contre le monde épouvanté. Il ne manquait aux tribus accourues dans les steppes qu’une puissante influence civilisatrice pour les transformer en une véritable nation. Lorsque l’empire des Bulgares, l’un des plus riches de l’Europe, se fonda sur les bords du Volga, on aurait pu croire que cette nation s’était enfin constituée ; mais l’émigration des peuplades de l’Asie continuait toujours, les conflits se succédaient sans interruption, la paix était impossible entre ces hordes trop nombreuses qu’attiraient les plaines de la Russie abondamment arrosées par d’immenses fleuves. En 1630, l’émigration n’avait pas cessé encore : cinquante mille familles mongoles, quittant les plateaux du Thibet et les bords du lac de Koko-Noor, vinrent camper sur les rives du Volga. Un siècle après, un autre flot de Kalmouks déborde sur les steppes, et dans l’espace de quelques années cinq cent mille émigrans viennent demander l’hospitalité à la Russie. Quelle bonne aubaine pour le gouvernement qui s’occupait déjà d’introduire à grands frais des