Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 36.djvu/1023

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son département. Ainsi émis, les décrets, au point de vue des dépenses, devenaient des engagemens revêtus de la signature impériale. La situation du ministre des finances était singulièrement difficile ; n’ayant pas été admis à l’appréciation et au contrôle de la mesure, il se trouvait dans la position d’un honnête caissier qui ne peut pas supporter l’idée de laisser protester la signature de son patron, et qui crée de la circulation, c’est-à-dire de la dette flottante, afin de faire honneur à ses échéances. Mais, dira-t-on, le ministre des finances avait une ressource : après la signature Impériale, les décrets sont portés au conseil d’état ; que n’allait-il de sa personne combattre les décrets malencontreux devant le conseil, et se défendre, lui ministre payeur, contre les importunités périlleuses et coûteuses des ministres dépensiers ? Les ministres qui ont gouverné les finances depuis dix ans étaient de nature pacifique, et il faut convenir d’ailleurs que des duels de ministres eussent été un spectacle peu édifiant pour le conseil d’état et pour le public. On est, par le décret du 1er décembre, rentré dans la vérité des choses.

Désormais le ministre des finances reprend une légitime prépondérance ; toutes les mesures politiques qui engagent les ressources de l’état viennent se coordonner et se centraliser autour de lui ; il devient, pour employer une désignation de l’ancien régime qui n’entraînait pourtant pas une autorité égale, un contrôleur-général. La responsabilité du ministre des finances croît ainsi dans la même mesure que son pouvoir, et l’on a une garantie de bonne gestion financière. Qu’il nous soit également permis de nous féliciter de cette heureuse innovation au point de vue politique. Le décret du 1er décembre n’émane pas d’une théorie ; il est l’effet d’une nécessité pratique, mais il porte des conséquences plus étendues qu’on ne le croirait au premier abord. À l’action isolée et indépendante des ministres il tend à substituer l’unité d’un ministère, ce qui s’appelle dans la langue du système représentatif le cabinet. Les lecteurs de l’admirable histoire de Macaulay n’ont pas oublié l’importance que l’illustre historien donne au cabinet parmi les rouages constitutionnels de l’Angleterre. Ils se souviennent de la sagacité animée avec laquelle Macaulay raconte comment, en avançant dans le règne de Guillaume III, on fut amené par la force des choses à quitter le système de l’action isolée et indépendante des ministres pour arriver lentement à la formation d’un cabinet solidaire et homogène. Le décret du 1er décembre est le symptôme d’un travail qui s’opère évidemment chez nous avec une logique latente. Ce travail a pour nous l’intérêt d’une expérience de physique. Comme le savant voit les lois de la nature agir sous ses yeux avec la régularité certaine qui lui est connue d’avance, nous voyons avec satisfaction, mais sans surprise, les nécessités mêmes du gouvernement produire lentement les combinaisons que les fausses théories ont pu troubler parfois, mais que la nature des choses rétablit infailliblement tôt ou tard.

Nous avions touché en passant au côté financier par lequel la question