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encore, qui a eu un plein succès. Doublant ou triplant son vaillant orchestre, il l’a transporté dans la grande salle du Cirque-Napoléon, située boulevard des Filles-du-Calvaire, c’est-à-dire au centre de la population ouvrière de Paris, qu’il a conviée à de nobles fêtes de l’art. Pour les prix modiques de 75 centimes, de 1 franc 25 centimes et de 2 francs 50 centimes, il a donné une série de séances où il a fait entendre les chefs-d’œuvre de la musique instrumentale. Un public compacte et varié, composé des divers élémens de la nouvelle société française, est accouru aux concerts populaires de musique classique et a montré une rare intelligence des beautés qu’on déroulait devant lui. Haydn, Mozart, Beethoven, Mendelssohn, Weber, Rossini et M. Auber ont été compris et acclamés par quatre mille auditeurs émus. C’est un spectacle touchant pour l’âme du poète comme pour l’intelligence du philosophe et du véritable chrétien que de voir cette grande salle du Cirque-Napoléon remplie jusqu’aux combles d’un peuple laborieux et intelligent qui tressaille et qui éclate en doux transports aux magiques accords d’une symphonie de Beethoven ou de Mozart. Vous niez le progrès, ingrats que vous êtes ; vous contestez les bienfaits de cette grande révolution française qui nous a tirés tous du néant, qui a développé en nous le sens du juste et la notion du beau : allez donc aux concerts populaires de musique classique, et vous en sortirez convaincus que Dieu est grand et que l’homme est sa plus noble créature, que la société de notre temps n’a rien à envier à celle des siècles passés, et que la démocratie, surtout la démocratie française, est digne de sa glorieuse destinée. Par la fondation et la direction des concerts populaires de musique classique, qui attirent tous les dimanches une foule enthousiaste au Cirque-Napoléon, M. Pasdeloup a bien mérité de l’art et de l’autorité supérieure, qui doit avoir souci de la bonne éducation publique.

Je ne puis mieux terminer ce court résumé des faits accomplis dans l’art musical qu’en annonçant l’apparition du bel ouvrage que publie M. Farrenc : le Trésor des Pianistes. J’ai là sous les yeux la première livraison contenant douze sonates d’Emmanuel Bach, deux livres de pièces de Rameau, six sonates de Durante et six de Porpora. Cela forme un volume infolio gravé avec un grand soin, accompagné de biographies et de notes explicatives sur le style de chaque maître. Un second cahier, portant le titre de Préliminaires, contient la préface, une introduction, l’histoire du piano, des observations générales sur l’exécution des différens morceaux, un traité des agrémens qui est du plus haut intérêt historique. Cette publication, qui fait tant d’honneur à l’activité et au goût de M. Farrenc, s’adresse à tous les vrais amateurs, à tout professeur de piano, à tout organiste qui s’élève au-dessus du commun et qui veut se rendre compte de la marche de l’esprit humain dans une branche aussi importante de l’art. On ne comprend bien l’art de son temps qu’en remontant à la source des élémens qui le composent. Cela est surtout indispensable au critique et au professeur. Le Trésor des Pianistes vous met sous les yeux toutes les formes musicales qui se sont produites depuis le milieu du XVIe siècle jusqu’à nos jours. En lisant une sonate de Durante ou de Porpora, d’Emmanuel Bach ou de Rameau, on sent mieux les chefs-d’œuvre de la musique moderne. D’ailleurs chaque époque a ses nécessités. Les Romains, venus après les