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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 36.djvu/12

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REVUE DES DEUX MONDES.

FRANCINE

Oh ! ça fait peur à penser ![1]

ANDRÉ

Eh bien ! quand je tomberais, qu’est-ce que ça te ferait, à toi ?

FRANCINE

Oh ! pouvez-vous dire ça ?

ANDRÉ

Une fille qui s’ennuie à la maison !

FRANCINE

Ça n’est pas.

ANDRÉ

Qui pleure toujours !

FRANCINE

Vous ne me voyez jamais pleurer.

ANDRÉ

Qui regrette un pas grand’chose.

FRANCINE

C’est vous qui m’en parlez.

ANDRÉ

Allons, tais-toi !

FRANCINE

Je ne dis rien de mal.

ANDRÉ

Tais-toi, je te dis ! Quand je parle, je ne veux pas qu’on me réponde. Quelle heure qu’il est ?

FRANCINE

Cinq heures.

ANDRÉ

Comme le temps est noir ! On dirait que le soleil est couché, il reprend sa lunette. Sais-tu que je ne la vois pas du tout, la barque ?

FRANCINE

Laissez-moi regarder.

ANDRÉ

Bah ! les femmes, ça ne voit rien dans les lunettes de marin. Faut savoir regarder là dedans.

  1. Il eût fallu, pour arriver à la couleur locale, faire parler à mes personnages ou leur dialecte ou leur accent méridional, dur comme le rocher et ronflant comme la bourrasque. Je suis loin de faire fi d’une harmonie si bien caractérisée ; mais tous les lecteurs n’eussent peut-être pas été aussi dociles que moi à recevoir cette impression d’un milieu particulier. J´ai pu faire accepter quelquefois une imitation assez fidèle du langage vieux français des paysans du centre ; mais le Drac est une tradition provençale, et je n’avais autre chose à faire que de m’en tenir à la manière de s’exprimer la plus familière et la plus répandue en France dans toutes les classes du peuple. On ne me fera donc pas, j’espère, de critique pédante si mes personnages populaires se permettent toutes les incorrections qui leur sont naturelles. J’ai cherché le contraste soutenu entre le lyrisme et la trivialité. Si on me le reproche, je rappellerai aux critiques que les artistes ont quelquefois le droit de répondre : je l’ai fait exprès.