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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 36.djvu/153

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les compromis de 1850, le choix entre le régime de la liberté et de l’esclavage dans les territoires du Nouveau-Mexique et du Texas fut laissé aux premiers occupans de ces territoires. Le peuple américain représenté par le congrès cessa d’être considéré comme un arbitre naturel dans les régions destinées à accroître son empire, et le sort des futurs états fut abandonné aux caprices et à la cupidité des colons les plus aventureux. Le droit d’intervention législative dans les territoires ne pouvait rester debout devant la souveraineté des territoires eux-mêmes. Le sud ne tarda pas à triompher de cette contradiction, et, jetant bientôt le masque, dénonça le compromis du Missouri comme un attentat contre les droits populaires. Le bill de Nebraska fut arraché au congrès, et toute limite géographique entre le domaine du travail libre et celui du travail servile fut désormais effacée. Dès ce moment, tout observateur sagace put désespérer de l’avenir de l’Union. Jamais la constitution n’avait reçu une atteinte aussi profonde, jamais le droit individuel n’avait obtenu un triomphe aussi éclatant sur le droit public, jamais une nation n’avait renoncé aussi imprudemment à se garantir contre des entreprises factieuses. Maîtresse du pouvoir grâce à ses privilèges électoraux et à la multiplication de plus en plus rapide des états à esclaves, l’oligarchie du sud avait trouvé des complices trop faciles dans les états du nord. Enivré par ses prospérités, le peuple avait fini par fermer les yeux sur les dangers de l’esclavage. Les abolitionistes n’avaient acheté qu’au prix des persécutions et du mépris public le droit de rappeler à la nation ses obligations morales. Après la forte génération des hommes d’état qui avaient fondé la république, et qui se guidaient par les nobles principes de libéralisme et d’humanité inscrits dans leur constitution, on vit une génération d’avocats et de sophistes qui étouffèrent l’esprit de cette grande œuvre sous de misérables arguties, réduisirent la politique américaine à une lutte de partis sans principes fixes, décomposés aussitôt que formés, instrumens de plus en plus complaisans de l’intérêt des maîtres d’esclaves. Les États-Unis se préparaient ainsi les plus redoutables épreuves. L’accroissement de la richesse publique, la paix, de calme extérieur, ne compensent point pour les peuples la perte de la grandeur morale. Ceux qui s’endorment dans l’oubli de leurs devoirs doivent s’attendre à de terribles réveils. Ils perdent en un jour tous les biens auxquels ils avaient pendant de longues années fait le sacrifice de leurs obligations les plus saintes ; mais ce n’est pas en un jour qu’ils retrouvent cette virilité, cette force qui permet d’affronter les plus terribles dangers, cette confiance mâle et généreuse qui anime seulement ceux dont la vie entière a été un sacrifice volontaire de l’intérêt à la justice.

Nous avons vu la politique américaine se concentrer de plus en