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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 36.djvu/254

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REVUE MUSICALE


La saison musicale commence à s’annoncer. Les théâtres lyriques de Paris, ceux de la province et des principales villes de l’Europe ont rouvert leurs portes et promettent aux amateurs, non pas des chefs-d’œuvre nouveaux, chose rare dans tous les temps, mais une bonne exécution des œuvres connues, de la variété dans le répertoire et de la bonne volonté. Ce serait déjà beaucoup si les administrations desquelles dépendent les plaisirs du public étaient seulement animées d’un zèle sérieux pour l’art dont elles administrent les intérêts. Le choix d’un directeur de théâtre devrait être le plus grand souci de l’autorité chargée de veiller sur cette partie intéressante de l’administration publique ; mais il est plus facile de célébrer en termes pompeux l’époque incomparable où l’on a le bonheur de vivre que de bien diriger les arts qui font la gloire d’une nation. On parle d’or, et on couronne des bouffons. Il est vrai néanmoins qu’on a fait beaucoup de musique en Europe pendant l’été qui vient de finir. On a chanté sur tous les tons et dans tous les coins la gloire de Dieu et celle de l’homme, sa meilleure créature, dit-on, et la Providence a été bénie à la fois par ceux qui sont contens de leur sort et par le très grand nombre de ceux qui espèrent un meilleur avenir, en sorte que la Providence, que chacun fait parler comme il l’entend, a toujours raison, et tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes connus.

Les fêtes musicales qui se multiplient incessamment prouvent au moins que le goût de cet art bienfaisant se répand de plus en plus et devient un besoin esthétique des nouvelles générations. Parmi ces fêtes de l’art qui ont été remarquées et qui méritent qu’on en conserve le souvenir, nous citerons celle qui a eu lieu à Aix-la-Chapelle dans le mois de mai dernier. Elle a duré trois jours, et, sous la direction de M. Lachner, maître de chapelle du roi de Bavière, un orchestre de cent cinquante musiciens et des chœurs composés de quatre cents voix au moins ont exécuté une série de chefs-d’œuvre qui ont vivement frappé le public nombreux et distingué venu pour les entendre de toutes les parties de l’Allemagne et de la Belgique. On a surtout remarqué la belle exécution de Josué, oratorio de Handel, qu’un très bon juge, M. Fétis, proclame une des meilleures productions du grand maître saxon. Hélas ! voilà ce qu’on ne peut jamais entendre à Paris, où l’on fait de si belles théories sur l’art ! Voilà plus de trente ans que la Société des Concerts existe, et elle en est encore à nous donner le même psaume de Marcello, les mêmes bribes de l’œuvre grandiose de Sébastien Bach et de Handel ! Dans ce Conservatoire où l’on fabrique tant de mauvais pianistes et de détestables chanteurs, on ne connaît pas même de nom ces monumens de l’art qu’on exécute publiquement en Allemagne ! Oui, avec des théâtres qui se meurent d’inanition faute de chanteurs et de compositeurs, en voyant le triomphe éclatant d’histrions, d’artistes et d’écrivains médiocres ou ridicules, on est bien venu de se croire à une époque