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ne pense pas que ce moyen soit bon, nous ne sommes pas en position d’établir nos produits à aussi bas prix que nos voisins. Le droit protecteur qu’on nous propose ne nous mettrait pas à l’abri de la fraude. D’ailleurs un grand nombre d’établissemens de filatures n’auraient pas été construits, si les propriétaires n’avaient compté sur la prohibition du système qui nous régit. » Cette réponse résume toutes celles qui ont été faites dans l’enquête de 1834 ; elle nous fait toucher du doigt le fait essentiel : les fabriques qui s’élèvent, non pas parce qu’elles sont dans des conditions naturelles d’existence, mais en vue des prix fictifs résultant de la législation.

Ainsi s’évanouit l’espoir de frapper la prohibition dans son principe, de procéder régulièrement aux réformes. L’art de grouper les intérêts industriels dans les chambres comme l’art de mettre en relief les misères de l’atelier entrent pour beaucoup dans la tactique des partis. Sur toutes ces questions, les hommes que la politique réunit dans les cabinets sont loin d’avoir des idées nettes et homogènes. L’urgence de remanier un règlement ou un tarif se fait-elle sentir, c’est la pression la plus forte qui l’emporte ; il en résulte une certaine incohérence dans les mesures économiques qui se succèdent. En 1836, au moment où l’établissement des voies ferrées est mis à l’ordre du jour, le gouvernement fait adopter une réduction d’un cinquième sur le tarif des fers à la houille ; mais la chambre maintient l’ancien tarif pour les fers au bois. La commission aurait même voulu qu’on abaissât à 5 francs par 100 kilos le droit sur les rails, que nos usines ne peuvent pas encore fournir. Pour faire avorter cette motion, M. Thiers n’a qu’à s’écrier avec une entière assurance que l’on aurait assez de rails chez nous, et qu’il trouverait beau que la France arrivât à construire cinq lieues de chemin de fer par année. Les manufacturiers de Lille et de Rouen protestent contre l’introduction des filés fins, autorisée par ordonnance ministérielle, mais ils obtiennent des facilités pour l’achat des charbons. Le gouvernement, constatant renchérissement de la viande, voudrait bien abaisser les droits et substituer la taxe au poids à la taxe par tête. Les protectionistes se rallient à la voix du maréchal Bugeaud, qui s’écrie qu’une invasion de bestiaux étrangers serait plus funeste qu’une invasion de Cosaques ! Bref, les conflits d’intérêts se renouvellent sans cesse ; mais au lieu d’amener des débats de principes, ils deviennent des batailles pleines de hasards.

Vers 1840, la prohibition existait chez nous de droit ou de fait par l’exagération calculée des taxes protectrices. Or quel est l’effet de la prohibition dans l’économie intérieure d’un pays ? C’est de déterminer une augmentation de prix égale à la plus-value de chaque article comparativement au prix que paierait le consommateur, s’il