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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 36.djvu/343

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Triomphant ainsi dans toutes leurs luttes, même contre le gouvernement qu’ils aimaient, les prohibitionistes tendaient à devenir pour la monarchie parlementaire des espèces de prétoriens connaissant leur force et faisant sentir à leurs chefs la pression de leur volonté. À la fin de 1846, au moment où la peur d’une famine commence à devenir un danger politique, ils consentent à ce que le gouvernement favorise l’introduction des blés étrangers par la suspension de l’échelle mobile ; mais c’est en constatant avec solennité qu’ils font une concession accidentelle, et que le principe de la législation sur les céréales doit rester « à l’abri de toute atteinte, même par voie de simple induction. » Heureux de trouver un point d’appui contre ses dangereux amis, le gouvernement autorise avec toute sorte de réserves les associations qui se proposent de propager les principes du libre échange ; la société de Paris organise des conférences publiques dans la salle Montesquieu. À ce petit groupe de théoriciens qui causent dans le public plus d’étonnement que d’agitation, les prohibitionistes ne se contentent pas d’opposer une affiliation riche, active, puissante, leur Société pour la défense du travail national, ils entament sournoisement le ministère par tous les côtés où il est faible, par la peur d’une désertion dans les rangs de la majorité, par la peur d’être dénoncé à l’opinion comme livrant l’industrie française à l’Angleterre, par la peur de l’agitation des ateliers, où l’inquiétude est semée à dessein. Le gouvernement se décide cependant à tenter quelque chose pendant la session, qui devait être la dernière de la monarchie. On dépose dans la séance du 31 mars 1847 un projet de réforme douanière atteignant deux cent quatre-vingt-dix-huit articles sur les six cent soixante-six dont se compose le tarif, mais avec une modération extrême, comme on touche les plaies du malade dont ont craint les cris. Les partisans du système restrictif avaient peu de choses à dire, si ce n’est qu’ils ne voulaient pas qu’on fît brèche à leur principe. Le rapporteur choisi par la majorité, M. Lanyer, déposa le 24 juillet, quinze jours avant la clôture, un travail si volumineux que les députés auraient eu à peine le temps de le lire. Le débat fut nécessairement renvoyé à la session suivante, et devait être repris, remarquez la date, au mois de février 1848 !

C’était dans les jours où il ressentait la fatigue de ces tiraillemens qu’on entendait le premier ministre déplorer avec amertume « l’abus des influences. » L’histoire blâmera-t-elle M. Guizot de n’avoir pas résisté avec plus de vigueur sur ce terrain aux entraînemens de ses