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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 36.djvu/350

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classes souffrantes, n’était guère mieux comprise d’un côté que de l’autre : ce n’était pas encore une idée faite (l’est-elle beaucoup plus aujourd’hui ?). Un doute secret sur la possibilité d’accomplir le programme de la révolution jeta un vague découragement dans les rangs démocratiques. Le parti réactionnaire gagna en aplomb, et son initiative imprima au grand nombre de lois qui furent faites, et dont plusieurs sont très bonnes, un caractère de discipline et de patronage. Aucune de ces lois n’a touché à fond le régime économique de la société. En 1851 seulement, un honorable député, M. Sainte-Beuve, de Pontoise, vint agiter bravement le drapeau du libre échange. Il fut peu compris : M. Thiers doubla par la prestesse de son esprit un succès préparé d’avance au sein de la majorité. La proposition de M. Sainte-Beuve fut écartée par 428 voix contre 199. Ce dernier chiffre constatait déjà un certain progrès ; il n’aurait pas été obtenu au lendemain de la révolution.

Dans la période qui suivit immédiatement le rétablissement de l’empire, il y eut une veine d’activité commerciale des plus remarquables. Un sentiment de sécurité qui se répandit dans les classes riches et conservatrices, l’afflux subit de l’or californien agissant à son arrivée comme capital et commandant des travaux, les profits de plus en plus larges donnés par les voies ferrées, les mouvemens de fonds créés par la fusion des grandes compagnies ou par des privilèges financiers, le développement imprimé aux travaux publics, et puis cette loi du mouvement qui se multiplie par sa propre vitesse, telles sont les causes du phénomène. Que cette vive reprise ait contribué à élever le niveau des salaires, cela est incontestable. Cependant, aux termes de la saine économie, ce mouvement laissait à craindre une concentration de plus en plus forte des élémens producteurs dans un petit nombre de mains. Il était à prévoir aussi que cette ardeur de spéculation faiblirait à mesure que s’épuiseraient les circonstances qui l’avaient occasionnée. À un autre point de vue, les nécessités financières, ces dépenses toujours croissantes sans qu’on puisse toujours espérer de les compenser par des emprunts, ont dû conduire à la recherche des moyens propres à augmenter d’une manière durable la richesse publique. Tels sont probablement les motifs qui ont amené le gouvernement impérial dans une voie qui nous fera aboutir tôt ou tard à un régime de liberté économique. La nature et la portée des réformes en voie d’exécution aujourd’hui ressortiront des faits qu’il me reste à exposer.


ANDRE COCHUT.