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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 36.djvu/401

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Au dire des paysans du Jura, elle guérit tous les maux. — Dans deux heures, vous en aurez, répondit le braconnier, ou bien on me trouvera au pied des rochers tout fracassé et n’ayant plus besoin de rien. — Il feignit de se diriger vers les rochers du Lison, et alla cueillir la plante incomparable à cent pas derrière sa maison, dans un endroit tout à fait uni, où, selon le mot villageois, un aveugle eût dansé en sabots. De retour à Alaise, il raconta avec emphase à Cyprienne les vipères qu’il avait tuées, celles qui avaient failli le mordre, et les chutes de trois ou quatre cents pieds auxquelles il n’avait échappé que par miracle. — Merci, lui dit Cyprienne en lui tendant affectueusement la main, c’est un service que je n’oublierai pas.

— A quand la récompense ? — demanda aussitôt Gaspard ; vous savez qu’il n’en est qu’une pour moi, et que je la réclame depuis longtemps.

— Bientôt peut-être, répondit la jeune fille.

Grâce à toutes ces supercheries, le braconnier regagnait chaque jour du terrain, d’autant plus que, par timidité et scrupule poussés à l’excès, son rival lui laissait le champ entièrement libre. Une année s’écoula de la sorte. Le mois de juin revint, et avec lui la fête d’Alaise. Une faille eut lieu la veille, c’est-à-dire une pêche aux flambeaux ou plutôt aux fagots allumés. Au sortir de la jolie vallée de Nans, où il prend sa source, le Lison s’engage dans une gorge étroite et profonde ; il coule dans un espace de près de trois lieues entre des berges de rochers dont la hauteur moyenne est de quatre ou cinq cents pieds. Où la berge n’est pas tout à fait à pic, la forêt pousse vigoureuse et touffue. Toutes les essences forestières du Jura, le sapin excepté, y croissent pêle-mêle avec une variété infinie. La gorge n’a presque partout de place que pour le lit de la rivière et un chemin d’exploitation qui la longe ; mais çà et là elle s’élargit un peu, et alors elle étale au bord de l’eau quelques arpens de ravissantes prairies. Même solitude, même absence de l’homme que sur les bords du Todeure ; de Nans jusqu’à Myon, vous marchez trois heures sans rencontrer d’autres habitations que deux moulins.

La pêche commença vers neuf heures du soir. En quelques instans, la rivière se couvrit de pêcheurs, les uns portant les fagots enflammés, les autres harponnant avec la fouine le poisson attiré par ces lueurs, d’autres encore lançant l’étiquette, le trémailler et l’épervier. Les femmes et les enfans faisaient la guerre aux écrevisses, soit à l’aide de filoches, soit à la main. Tous étaient munis de lanternes ; de grands feux brillaient çà et là sur les deux rives, aux points où les pêcheurs avaient déposé leurs habits et où ils devaient