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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 36.djvu/512

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d’état éminent, si aux aptitudes les plus élevées on ne joint pas l’intelligence des lois et des faits économiques, si l’on n’est pas, dans l’acception la plus large du mot, un financier. Nous ne parlerons pas de sir Robert Peel et des premiers lords de la trésorerie d’Angleterre ; mais voyez le dernier grand homme d’état, le ministre complet, qu’il ait été donné à l’Europe d’admirer. M. de Cavour apportait dans le gouvernement toutes les lumières et toute la sagacité d’un économiste et d’un financier consommés. Si ce qui se passe chez nous maintenant nous présage que les aptitudes financières parviendront à prendre la première place dans le gouvernement, si l’on est à la veille de reconnaître que les questions financières doivent être le principal aliment de la politique intérieure, nous croyons devoir nous en applaudir. Par l’abandon des crédits supplémentaires et extraordinaires, l’on restitue au corps législatif sa prérogative naturelle, qui est le contrôle sérieux des finances, et par ce contrôle une influence plus efficace sur toutes les branches du gouvernement. La chambre des députés obtient par là plus qu’elle n’avait reçu l’année dernière du décret du 24 novembre. Elle obtient plus que ne demandaient ses membres les plus considérables et les plus exigeans. La chambre réclamait le vote du budget par chapitres, on consentait à lui donner le vote du budget par grandes sections ; mais qu’était-ce que le vote par chapitres en présence du droit de décréter des crédits dans l’intervalle des sessions réservé au gouvernement ? À quoi eût servi la faculté de rejeter un chapitre, si, par un crédit supplémentaire et un virement, la décision de la chambre eût pu être déjouée ? La renonciation aux crédits extraordinaires, que la chambre n’eût certes pas osé réclamer, lui donne une autorité bien plus large et bien plus positive sur les lois de finances. Un grand pas vers le régime parlementaire semble ainsi accompli, et nous n’hésitons point à nous en féliciter. Enfin il est une considération que M. Fould fait valoir en très bons termes dans son rapport, et dont nous sommes particulièrement touchés. Nous l’avons dit à satiété, le gouvernement français ne pourrait calmer les craintes qu’il inspire au dehors, et qui rendent en grande partie précaire et stérile pour l’Europe la conservation de la paix, qu’en se désarmant du pouvoir qu’il avait de disposer à un moment donné et sans intermédiaire de toutes les ressources du pays. M. Fould reconnaît que ce pouvoir, « plus apparent que réel, plus menaçant qu’efficace, » était un danger ; il croit que l’abandon de ce pouvoir est, de la part du gouvernement français, un gage donné à la paix, un prétexte enlevé à la concurrence ruineuse des armemens et des préparatifs militaires. Un pareil résultat poursuivi par un semblable moyen est trop conforme à la logique de nos opinions pour que nous ne l’appelions pas de nos vœux. On voit que nous sommes bien éloignés de la pensée de diminuer la portée politique de l’acte du 14 novembre. Nous ne ferons qu’une seule réserve : cet acte est un progrès assurément, il consacre une amélioration considérable dans le gouvernement ; mais, quel que soit