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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 36.djvu/595

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mettra tout en lumière, et la postérité doit seule juger la cause ; mais à nous le devoir d’en préparer l’instruction, à nous, petits et grands, chefs et soldats, acteurs illustres et spectateurs obscurs. Pour les hommes de mon âge, je ne sais pas un intérêt plus grave, surtout pour ceux qui n’ont pas traversé en témoins impassibles ces jours de luttes et d’orages, qui, à des rangs divers, chacun selon sa force, les uns par vocation, les autres par devoir, ont donné là le plus pur de leur vie, leurs plus vertes années. Et quant aux générations qui nous suivent, est-il pour elles un enseignement plus nécessaire ? en est-il un moins connu ?

M. Guizot l’a senti ; de là ce livre qu’il achève avec calme, avec maturité, mais sans perdre de temps. Un double devoir le presse : l’intérêt de sa cause, le légitime soin de sa propre mémoire. Il est de ceux qui, sans orgueil, ont le droit de penser que l’histoire attend leur témoignage. D’aucun autre homme de son temps, elle n’en recevra ni de plus décisifs ni de plus nécessaires. Faire de ce témoignage une œuvre méditée, réfléchie, lumineuse, écrire ses mémoires en un mot, pendant qu’il est en possession de tous ses souvenirs et de tout son talent, c’est mieux, j’ose le dire, que l’utile emploi de ses loisirs, c’est le complément obligé de sa vie. Là-dessus, je suppose, tout le monde est d’accord. Un seul point fait question : valait-il mieux, et pour sa cause et pour lui-même, produire ce témoignage de son vivant, dès aujourd’hui ? Fallait-il au contraire, conformément à la coutume, l’ajourner indéfiniment ?

Pour dissiper ce doute, il ne faudrait changer qu’un mot, ce mot mémoires) qui d’abord fait penser qu’il s’agit de révélations, de secrets, de mystères, tandis qu’il n’est ici question que des choses du monde les moins mystérieuses. Ce sont des annales politiques et non des mémoires secrets. Il y a bien çà et là tout l’agrément et tout le charme des mémoires à proprement parler ; les anecdotes, les portraits, les souvenirs, personnels, les incidens biographiques se mêlent, s’entrelacent aux idées générales, aux considérations politiques et leur disputent le terrain. C’est une attrayante lecture, tout le monde en convient, même les moins amis. Nulle part ce puissant esprit ne s’est montré plus souple, plus varié, plus fin, plus maître de sa touche, si bien qu’on est d’abord tenté de croire qu’il a tout sacrifié cette fois à la seule ambition littéraire, au plaisir de bien dire, à l’attrait de montrer sous des aspects nouveaux sa féconde et riche nature. En y regardant mieux, le vrai but apparaît. De quelque agrément qu’il se pare, quelque soin qu’il se donne à rendre attrayans ses mémoires, M. Guizot, soyez-en sûr, entend qu’ils soient encore plus sérieux qu’attrayans. Si vous le consultiez, il vous dirait, je gage, qu’il n’a rien fait ni rien écrit de plus sérieux en soi et pour lui-même, rien qui révèle plus à fond le secret de ses