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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 36.djvu/605

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nouveau cette vigueur de caractère, lorsqu’on sentit dans ses paroles un certain souffle de commandement, l’accent de l’autorité et je ne sais quel don de faire obéir ses amis et reculer ses adversaires, lorsqu’il fut clair et reconnu de tous qu’il imprimait un temps d’arrêt à la révolution, un sentiment inexprimable de soulagement et d’espérance se répandit dans le pays, surtout chez ceux qui, sans avoir souhaité la catastrophe de juillet et même en la déplorant au fond de l’âme, n’en avaient pas moins à cœur de soutenir son œuvre et d’empêcher que la France y perdit la moindre parcelle de l’héritage libéral qu’elle tenait de la restauration. Pour la première fois depuis six mois, le vent semblait enfler leurs voiles ; ils commençaient à pouvoir espérer. L’union qu’ils rêvaient entre l’esprit de liberté et l’esprit de gouvernement venait de prendre un corps. L’homme énergique qui, sans autre arme que sa volonté, tenait tête au torrent, prétendait à la fois protéger tout le monde et n’imposer à personne d’autres entraves que la loi. Pour lui, faire de la force, commander l’obéissance, intimider les agressions coupables, c’était aussi ne gêner l’exercice d’aucun droit légitime. Les prédictions sinistres étaient donc conjurées : ce n’était pas une pente fatale que celle où jusque-là on se laissait glisser, et il y avait un salut possible sans tomber jusqu’au fond de l’abîme.

Je vois encore cette renaissance des espérances libérales et de la confiance conservatrice chez les amis du 13 mars. Ces beaux rêves, on le sait trop, ne devaient pas tous s’accomplir, le mal avait déjà pénétré trop avant ; mais l’effort ne fut pas perdu. M. Perier sans doute n’eut pas un seul jour de repos, et son succès, si grand qu’il fût, dut être conquis heure par heure. L’agitation et le désordre tentèrent plus d’une fois de reparaître dans nos rues ; l’insurrection ensanglanta les murs de la seconde ville du royaume : ce fut un temps d’émotions, de qui vive et d’alertes, et cependant la confiance reconquise ne se laissa pas ébranler. La principale crainte du pays s’était évanouie : M. Perier vivant, personne ne croyait plus à une guerre européenne, et si à l’intérieur la lutte était encore ardente, le pouvoir à chaque attaque semblait plutôt gagner que perdre du terrain, comme une armée conquérante que d’incessantes escarmouches arrêtent et fatiguent, mais qui n’en marche pas moins.

Tout cela, par malheur, semblait dépendre de la vie d’un seul homme. Et si la mort venait à le frapper ! Cette crainte bientôt ne fut que trop réelle. M. Perier succomba. Aussitôt les partis se flattèrent que, lui tombé, ils auraient bon marché du reste. Sans se coaliser ouvertement, de tous côtés leur instinct les poussa à tenter des assauts presque simultanés.

Était-on préparé à soutenir ce choc ? Pendant la vaillante année