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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 36.djvu/711

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où elle nous peint les combats intérieurs qui se livrent dans l’âme de Brigitte, son amour pour Hjalmar, ses alternatives d’entraînement et d’épouvante, d’abandon et de remords. Nous ferions volontiers bon marché de la première de ces deux parties ; l’autre est traitée avec un mysticisme passionné qui s’élève quelquefois jusqu’à l’éloquence. Malgré de fâcheuses longueurs, le livre n’est ni ennuyeux, ni froid. Il semble que ce qui lui sert de point de départ, le sentiment du beau absolu, vainement demandé à l’art, à l’amour, aux institutions terrestres, et entrevu à la dernière page dans une sorte de renaissance catholique, doive maintenir tout le récit dans une température de glace : nullement, le souffle de la passion vraie vient souvent réchauffer ces frimas, et la soif de l’infini s’y exhale en accens que pourrait envier l’amour le plus ardent. « J’ai bu ton cœur, et j’ai soif encore ! » dit Brigitte mourante à son mari : voilà le diapason. Un cratère caché sous des monceaux de neige, une de ces journées du printemps septentrional, où l’on sent la vie, la chaleur, la verdure, sourdre et palpiter sous les dernières caresses de l’hiver, voilà les images que l’on peut évoquer à propos de ce roman. Mme Marie Gjertz en définitive, si elle veut réussir tout à fait, doit se résigner à descendre quelques degrés, ne fût-ce que par commisération pour la moyenne de ses lecteurs. Il en est de l’idéal comme de ces liqueurs précieuses et rares qu’il ne faut pas trop prodiguer sous peine de nous rendre insensibles à leurs purs arômes.

Cet idéal que nous aimons, mais dont les intempérances ont leur péril comme toutes les autres, le trouverons-nous, à des doses plus discrètes, dans quelques-uns de nos romans ? Peut-être allons-nous y découvrir un alliage d’un autre genre. Chez MM. Jules et Edmond de Goncourt, les auteurs de Sœur Philomène, l’alliage réside principalement dans le style. Ces jeunes écrivains, en se dégageant peu à peu de l’école qui avait paru d’abord les séduire, ont gardé quelques-unes de ses couleurs. Ce contraste est visible dans Sœur Philomène, où se révèlent pourtant des qualités bien réelles de sentiment et d’analyse. MM. de Goncourt décrivent le travail intime, l’initiation douloureuse qui s’accomplit dans l’âme d’une enfant du peuple imprudemment transplantée au sein d’une famille riche, exposée à tous les mécomptes de cette situation fausse, révoltée d’abord, puis résignée, acceptant sous la douce loi de bonnes religieuses une vie de renoncement, et s’élevant enfin jusqu’aux plus angéliques dévouemens de la sœur de charité. Ils ont assez habilement opposé à ces trésors de pureté et de tendresse la turbulence irréligieuse, la forfanterie matérialiste d’un groupe de jeunes médecins, et nul n’est tenté de les accuser de profanation quand ils nous laissent deviner un mystérieux sentiment, à jamais caché sous