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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 36.djvu/717

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satirique, qu’ils sont réduits à tourner perpétuellement sur eux-mêmes, à se copier, à se répéter, à s’accrocher aux mêmes bornes, à échouer aux mêmes récifs. Nous avions dans Marcomir un jeune homme naïf, amoureux d’une courtisane ; nous avons dans Eusèbe Martin un enfant de la nature épris d’une actrice. Courtisane et actrice aiment, se transfigurent, passent par les mêmes sentiers, et font à peu près la même fin. Déjà Marion Delorme, la Tisbé, Marguerite Gautier et cent autres leur en avaient donné l’exemple. Le Grain de Sable est encore pire. Dès la seconde épreuve, le crayon s’est alourdi et a grossoyé. Ce que devient dans tout cela la bêtise humaine, ce que la satire, la comédie et la fantaisie peuvent avoir d’horizon et d’espace, de ressort et de jeu sur ces théâtres de quelques mètres carrés, où jouent des marionnettes de pacotille suspendues à des ficelles de rechange, avons-nous besoin de le redire ? Étranges fantaisistes, dont la fantaisie a des ailes de coton et emprunte ses paillettes à un magasin d’accessoires ! Bizarres moralistes, qui ne connaissent de l’humanité et du monde que ce qu’ils en aperçoivent par la lucarne d’un bureau de petit journal ! Singuliers peintres, qui croient peindre l’homme et la comédie humaine, quand ils ont fait poser un mannequin entre deux décors ! Logiciens habiles, qui demandent à la convention de les conduire à la vérité, et qui chargent le paradoxe de faire les affaires du lieu commun ! Franchement ces fils de Voltaire sont des enfans terribles, bien plus compromettans pour la gloire de leur père que ses plus acharnés ennemis.

Il n’y a donc pas, nous le craignons, une grande importance ni un bien vif espoir à attacher au réveil du roman satirique, qui, ne donnant rien à l’imagination, au sentiment, aux meilleures facultés de l’âme, ne donne pas assez à l’esprit pour nous dédommager de tout le reste. Essaierons-nous de descendre encore un degré, plus près de cette école que nous sommes bien forcé d’appeler réaliste, puisqu’ainsi le veut le nouveau vocabulaire ? La réalité sans idéal, comme Sieyès votait la mort sans phrase ; — soit, pourvu que la réalité soit vraie ! Si, à force d’être réel, vous parvenez à être plus faux que le convenu, nous nous méfierons de vos programmes et de vos œuvres. Henry Murger était vrai, non pas peut-être de cette vérité générale qui est le fait des grandes littératures et qui assure aux ouvrages d’imagination la durée et la vie, mais d’une vérité locale, celle du monde où il a vécu et qu’il a su peindre. Or, s’il est avéré, comme on nous l’assure, que Murger était un maître, on peut ajouter qu’il a laissé un disciple dans la personne de M. Hector Malot. Si nous osions, nous appellerions M. Malot un Murger épaissi. Son talent est d’un grain moins fin, d’une allure moins svelte