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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 36.djvu/770

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REVUE DES DEUX MONDES.

résident des États-Unis, et de M. Donker-Curtius, commissaire royal de la Hollande. Ce dernier resta à Décima, au milieu de l’ancienne colonie hollandaise. Il se fit représenter à Yédo par un jeune fonctionnaire plein de zèle et d’intelligence, M. van Polsbroeck, le consul hollandais de Kanagawa.

Les ports de Nagasaki, de Kanagawa et de Hakodade avaient été ouverts le 1er juillet 1859. Pendant quelques semaines, on y vit tout marcher à souhait. Les Européens trouvaient qu’en envoyant des algues, de la soie et de l’or du Japon en Chine, ils pouvaient réaliser en quelques semaines des bénéfices de 75 à 200 pour 100, et les Japonais, ne demandant pas mieux que de se dessaisir des produits de leur pays, montraient un goût très prononcé pour les manufactures anglaises, américaines et hollandaises, et pour les divers objets de fantaisie que les négocians de Chine s’étaient empressés d’expédier aux nouveaux ports. L’intelligence entre Japonais et Européens était alors parfaite, et on se comblait réciproquement d’éloges et de bons procédés ; mais cet état de choses ne dura pas longtemps. Au bout de quelques semaines déjà, le gouvernement japonais s’aperçut que le système d’échange de monnaies japonaises contre des monnaies étrangères qui lui était imposé par les traités était par trop à son désavantagé. Il fit dès lors de vigoureux, mais absurdes efforts pour se dégager de la promesse qu’il avait faite d’échanger des itzibous contre des dollars poids pour poids.

Si dès cette époque les gouverneurs de Kanagawa s’étaient présentés chez MM. Alcock et Harris et leur avaient démontré que l’itzibou n’était qu’une espèce de bank-note ayant une valeur nominale de 200 pour 100 au-dessus de sa valeur intrinsèque, on aurait certainement compris qu’il serait aussi injuste de demander l’échange d’itzibous contre des dollars poids pour poids que de vouloir acheter des billets de banque au prix du papier et avoir le droit de les mettre en circulation à leur valeur nominale. — M. Alcock et M. Harris, hommes d’une grande intelligence et d’une parfaite loyauté, n’auraient pas voulu souffrir un pareil état de choses et se seraient unis aux fonctionnaires japonais pour trouver un moyen de sortir de la difficulté ; mais les gouverneurs de Kanagawa dédaignèrent de demander conseil aux ministres étrangers, et se contentèrent de prendre des mesures arbitraires pour empêcher l’échange de dollars en itzibous. Cette conduite eut de graves inconvéniens, les commerçans étrangers ayant absolument besoin de monnaies japonaises pour régler leurs affaires.

M. Alcock écrivit au gouvernement de Yédo. Il présenta avec calme et discernement l’état des choses, et insista sur la nécessité de rester de part et d’autre dans les limites des obligations imposées par les traités. Les ministres japonais ne tardèrent pas à lui répondre. Ils reconnaissaient que les étrangers avaient parfaitement le droit d’exiger l’échange en question ; mais ils faisaient observer qu’il était hors du pouvoir de la cour de Yédo de satisfaire complètement à cette demande. Ils appuyèrent cette observation par des prétextes dont quelques-uns étaient parfaitement absurdes. M. Alcock écrivit de nouveau, et de nouveau on lui répondit ; de nombreuses notes furent échangées, M. Alcock insistant toujours sur l’obligation d’observer les traités, les Japonais trouvant toujours de nouveaux prétextes, de nouvelles excuses pour ne pas s’y soumettre.

Pendant ce temps, les marchands de Kanagawa ne se croisèrent pas les