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mer en doublerait ici le prix. Le pin noir d’Autriche semble l’arbre prédestiné à la mise en valeur des escarpes crayeuses du plateau qui se montrent à nu de tous côtés le long de la Seine et dans les vallées de ses affluens : le défaut de communications l’a longtemps isolé des lieux où il nous importerait le plus de le propager ; mais aujourd’hui que la vallée du Danube n’est guère moins à portée de celle de la Seine que ne l’était, il y a trente ans, celle de la Loire, il ne faut, pour s’en approprier les végétaux, que la volonté de le faire. Les terres vagues susceptibles d’être ainsi boisées comprennent dans le bassin une étendue de 2,500 hectares.

Le revers oriental de la pointe de Quillebeuf est le point d’appui de la courbe de Vieux-Port et d’Aizier, ouverte du côté du nord ; les navires y venaient autrefois étaler le mascaret : la convexité en est taillée dans le plateau du Roumois, et dans l’intérieur de riches pâturages recouvrent les alluvions récemment déposées par la mer montante. La Seine change bientôt de direction pour exposer au midi l’arc profond des escarpes du plateau cauchois, au milieu duquel est assis Gaudebec. Joseph Vernet, qui s’y connaissait, prétendait n’avoir découvert nulle part un si magnifique panorama. La rivière, grossie par les marées, décrit, au pied de pentes boisées étagées comme les gradins d’un cirque, un demi-cercle de cinq lieues de diamètre ; la concavité qu’elle embrasse est garnie de pâturages verdoyans ; dans le lointain, les hauteurs du Roumois sont couronnées par la forêt de Brotonne, autrefois parsemée de villas romaines dont l’opulence oubliée se révèle dans les marbres et les mosaïques découverts sous les racines des futaies qu’on abat ; les voiles des navires et le sillage aérien des pyroscaphes animent de leur vie ces campagnes incomparables de grandeur, de calme et de simplicité.

La conque verdoyante de Villequier, creusée dans le flanc du plateau cauchois, est un des plus gracieux accidens de ce paysage. Le village est étagé dans ce creux, et, disposés avec art, les débris des carrières ouvertes à côté pour la construction des digues de la Seine l’ont doté, presque sans dépenses, d’un petit port qui lui manquait. C’est en face de Villequier que le 4 septembre 1843 ont été submergés ensemble, pendant une promenade sur l’eau, la fille de M. Victor Hugo, son mari et son beau-père. Les deux époux furent tirés de l’abîme serrés dans les bras l’un de l’autre : ils avaient l’un vingt-cinq ans, l’autre dix-neuf, et ne connaissaient de la vie que ses jours de bonheur. Les trois tombes, réunies à l’ombre de l’église du village, portent simplement les noms, les âges différens et le jour de la mort simultanée de ceux qu’elles renferment.

Aucun atterrage de la Basse-Seine n’a subi plus de vicissitudes que celui de Caudebec. Le moyen âge n’avait point de service hydrographique