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il renferme un choix complet des plus exquis parfums que produisent les îles de la Sonde. Il y a plus de choses que vous ne le soupçonnez dans ce navire, qui est depuis quinze ans mon unique demeure.


IV

— Quelle est la route pour demain, capitaine ? demanda le second du Jonas, M. James.

— Au sud, toujours au sud, tant que les vents nous y portent et tant que la saison n’est pas trop avancée. Finissons la pêche, monsieur, dussions-nous courir jusqu’au pôle !

À cette réponse vivement articulée, l’officier ne put s’empêcher de regarder avec étonnement le capitaine Robinson, dont les traits portaient l’empreinte d’une exaltation singulière.

— Oui, au sud, monsieur, entendez-vous ? J’espère compléter mon chargement avant quinze jours… Les baleines sont là, devant nous, et je suis décidé à les poursuivre à outrance.

Le navire continua donc sa route droit au sud, se rapprochant toujours des âpres régions qui avoisinent le pôle austral. Le lendemain, il tomba de la neige fondue ; le jour suivant, de gros nuages noirs, gonflés comme des outres, versèrent à torrens d’énormes grêlons, qui s’enfonçaient dans la mer comme des balles. Le froid ne sévissait pas encore d’une façon rigoureuse ; mais la mer, battue par les premières rafales de l’automne, se soulevait avec violence. Le ciel prenait cet aspect sombre et menaçant particulier aux latitudes désolées sous lesquelles l’homme ne pénétrerait jamais, s’il n’était poussé par l’esprit d’aventure et soutenu par l’appât du gain. Le Jonas marchait avec une rapidité extrême ; on eût dit qu’il était traîné à la remorque par les grandes baleines qui bondissaient devant lui. L’état de la mer, trop agitée, ne permettait point de leur livrer bataille. Elles couraient toujours, se jouant avec une agilité merveilleuse à travers les vagues gigantesques ; l’eau salée qui jaillissait de leurs évens s’élevait çà et là en jets abondans, comme les gerbes puissantes qui s’épanouissent dans nos jardins publics aux jours de fête.

Appuyé sur la lisse, le capitaine Robinson suivait d’un œil impatient la marche des baleines, qui semblaient fuir devant lui.

— Voilà un gibier qui nous fera courir bien longtemps, dit M. James en secouant la tête.

— Le Jonas a les jambes longues, monsieur, répliqua le capitaine

— Sans doute, répondit M. James, il a fait plus de milliers de