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profonde et émouvante. Quant à la fille d’Amphiloque, elle a été élevée depuis son enfance dans l’idée d’être la victime expiatoire de la honte de ses pères et de la souffrance de milliers de nations ; elle a reçu les enseignemens de Masinissa, elles volontés de son frère sont une loi pour elle. Pourtant, au moment fatal où sa destinée doit s’accomplir, son âme se révolte, et elle éclate en lamentations d’Antigone sur son sort, sur sa jeunesse condamnée et sur sa beauté vouée à la profanation. Iridion reste inébranlable et « défie toute tentation de la pitié. ». Il conduit Elsinoé auprès de la statue de leur père.


« Autrefois, lui dit-il, le sacrifice de la vie d’un homme suffisait aux nations ; aujourd’hui c’est l’honneur qu’il faut sacrifier… Femme, écoute-moi comme un mourant, comme si tu ne devais plus entendra ma voix. Tu entreras dans la maison d’un homme exécré, tu vivras au milieu des maudits, tu livreras ton corps au fils de l’opprobre ; mais que ton esprit demeure pur et libre ! Que jamais le césar ne s’endorme sur ton sein, qu’il n’entende parler que de prétoriens : appelant aux armes, de patriciens conspirant sans cesse, de peuples brisant les portes du palais ! Et lentement, jour par jour, goutte par goutte, enivre-le de folie et de rage, bois toute la vie de son cœur… Et maintenant lève-toi, incline la tête. Conçue dans le désir de la vengeance, grandie par l’espoir de cette vengeance, destinée à l’opprobre et à la perdition, je te voue aux dieux infernaux, aux mânes d’Amphiloque le Grec ! »


Il a été donné parfois à la poésie de rendra l’histoire vraisemblable, et c’est ainsi par exemple que le Richard III des chroniques ne devient possible pour notre intelligence, acceptable pour l’imagination, que dans la tragédie de Shakspeare. Le poète anonyme a réussi de même à nous faire croire à la réalité, à l’existence d’un de ces césars de Rome qui, malgré Tacite et Suétone, nous sembleront toujours des énigmes inexplicables. C’est par un art ingénieux et profond que l’auteur est arrivé à démêler tous les élémens de cet être bizarre et fantasque qui s’appelle Héliogabale. Né sous le ciel brûlant de l’Asie, le fils de Caracalla devint grand-prêtre d’Émèse à l’âge de quatorze ans, et connut toutes les voluptés sanguinaires du culte de Mithra. À seize ans, il fut césar, maître du monde, et, placé sur cette hauteur vertigineuse, le jeune homme épuisa vite tous les sentimens et toutes les sensations. C’est un enfant aux instincts de vieillard décrépit ; il n’a plus de passion ; son âme n’est plus traversée que par le feu follet de la lubricité, Des mondes ne pourraient remplir l’ennui de son cœur ; c’est le vide incarné. Du faîte de sa puissance, son regard ne voit qu’une chose, l’abîme où sont tombés, tant de ses prédécesseurs ; la pensée de la mort le poursuit partout, et ce qu’il redoute le plus en elle, c’est de livrer au peuple ses membres blancs comme la neige, car il est artiste à sa