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mander ce qui se passait. On est pourtant resté plusieurs heures aux prises avec un danger inappréciable. Si la mer eût été mauvaise, le bâtiment eût été brisé et jeté à la côte sur la falaise à pic. Les secours sont arrivés au bout de plusieurs heures. Voilà ce que l’on raconte à bord.

Partis à cinq heures du matin, pour faire rembarquer à Dellys le prince, qui a été par terre à Tiziouzou, nous arrivons à neuf heures : la traversée moyenne est de sept heures ; tu vois que le yacht blessé marche bien. Nous allons à terre, et

Par un chemin montant, sablonneux, malaisé.
Et de tous les côtés au soleil exposé,

nous accompagnons la princesse et Mme d’Abrantès à la messe. La princesse est charmante quand elle prie ; elle a la candeur et la sérénité d’expression des figures d’Holbein et de Kranach.

Le prince est revenu du fort Napoléon à onze heures avec le général Yusuf, et nous sommes repartis pour Alger, emmenant le général, que nous avons débarqué sans débarquer nous-mêmes. À six heures du soir, nous repartons pour Oran, et avant de m’endormir je veux te dire un mot de la Kabylie, vue en deux heures. Dellys est une très petite ville, perchée au sommet de la falaise. Le pays est sauvage, ondulé à grands plis profonds, coupé de verdure et de terrains arides ; des cactus en quantité jusque sur le rivage, pas d’arbres, des rochers perçant la terre, un grand massif de quartz blanchâtre projeté dans la mer et couronné de quelques tentes d’un blanc éclatant ; au fond, les crêtes aiguës des premières arêtes du Jurjura : tout cela d’un ton magnifique. J’ai tourné avec regret le dos à ces montagnes, que j’avais le projet d’explorer avant de quitter l’Afrique. J’aurais voulu voir chez eux ces fiers Kabyles dont la soumission nous a coûté tant de sang, et que ni Arabes ni Turcs n’avaient jamais pu soumettre dans leurs retraites. J’ai aperçu quelques groupes d’indigènes ; ils avaient ce faciès rustique que la culture de la terre imprime à tous les hommes, quels que soient leur vêtement et leur type. Tu sais que le Kabyle n’a jamais été un peuple nomade. Il a des villes et des hameaux ; il sème et récolte. En ce moment, la plupart des jeunes gens non propriétaires vont se louer pour les moissons de la Mitidja, comme les Marchois viennent à la loue en Berri.

Oran, 24 juin.

À midi devant Mostaganem. Un ravin, une route qui monte, de grands chemins tracés dans la broussaille, et se dirigeant vers des fermes dispersées. Sur la droite, Mazagran, avec son moulin à vent,