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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 37.djvu/83

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sous les ombrages du parc. On pense bien qu’aucune des paroles de l’empereur ne fut perdue ; le soir même, Sismondi les notait pour sa mère. Il fut question d’abord des ouvrages de l’historien, du publiciste, de l’économiste ; l’empereur les avait lus tous, dès longtemps, avec beaucoup d’intérêt. — Le dernier, répondait modestement Sismondi, avait du moins le mérite de l’opportunité ; cette défense de l’acte additionnel était l’œuvre d’une conviction sincère, car il avait été sérieusement affligé des clameurs que soulevait la constitution. « Cela passera, dit l’empereur. Mon décret sur les municipalités et les présidens de collège fera bien. D’ailleurs, voilà, les Français ! Je l’ai toujours dit, ils ne sont pas mûrs à ces idées. Ils me contestent le droit de dissoudre des assemblées qu’ils trouveraient tout simple que je renvoyasse la baïonnette en avant. »

Au milieu de ces ardentes paroles, Sismondi demeurait calme, considérant comme un devoir de faire comprendre à Napoléon l’absolue nécessité de son changement de conduite. Il s’agissait bien de coups d’état ! La France désormais était jalouse de ses droits, trop jalouse peut-être ; « ce qui m’afflige, — disait-il, et chaque mot était une leçon, — c’est qu’ils ne sachent pas voir que le système de votre majesté est nécessairement changé. Représentant de la révolution, vous voilà devenu associé de toute idée libérale, car la parti de la liberté, ici comme dans le reste de l’Europe, est votre unique allié. — C’est indubitable, s’écrie l’empereur ; les populations et moi, nous le savons de reste. C’est ce qui me rend le peuple favorable. Jamais mon gouvernement n’a dévié du système de la révolution, non, des principes comme vous les entendiez, vous autres !… J’avais d’autres vues, de grands projets alors… D’ailleurs, moi, je suis pour l’application. Égalité devant la loi, nivellement des impôts, abord de tous à toutes places, j’ai donné tout cela. Le paysan en jouit, voilà pourquoi je suis son homme… Oui, populaire en dépit des idéalistes ! Les Français, extrêmes en tout, défians, soupçonneux, emportés dès qu’il s’agit de théories, vous jugent tout cela avec la furia francese. L’Anglais, est plus réfléchi, plus calme. J’ai vu bon nombre d’entre eux à l’île d’Elbe : gauches, mauvaise tournure, ne sachant pas entrer dans mon salon ; mais sous l’écorce on trouvait un homme, des idées justes, profondes, du bon sens au moins… » Il croyait Sismondi, à titre de libéral, plus favorable à l’Angleterre qu’il ne l’était en réalité ; celui-ci depuis les derniers événemens, ne proclamait plus le peuple anglais le peuple hors de pair, et réservait ses sympathies aux hommes de Champaubert et de Montmirail. L’empereur sent cela, et tout à coup : « Belle nation ! s’écrie-t-il, noble, sensible, généreuse, toujours prête aux grandes entreprises ! Par exemple, quoi de plus beau que