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degrés à un seul fonctionnaire qui en occupait la pointe. C’est cette image renversée qu’il conviendrait d’appliquer à l’organisation de nos tribunaux, commençant par le juge de paix et se terminant par les imposantes chambres des cours d’appel et par le jury. Les causes civiles sont dévolues à la magistrature ; 2,936 tribunaux de paix connaissent en général sans appel jusqu’à la valeur de 100 francs ; 370 tribunaux d’arrondissement jusqu’à la valeur de 1,500 fr. en matière personnelle et mobilière, et de 60 francs de revenu en matière immobilière ; 28 cours jugent en appel les causes d’un intérêt supérieur. Les causes criminelles sont également divisées entre trois juridictions ; les contraventions sont jugées par les tribunaux de police municipale, tenus par les juges de paix ou les maires ; les délits par les tribunaux correctionnels, et les crimes par les cours d’assises, au nombre de 90. Au sommet de la hiérarchie judiciaire est placée la cour de cassation, cour essentiellement régulatrice, étrangère aux appréciations de fait, et uniquement destinée à maintenir l’uniformité dans l’interprétation des lois devant les tribunaux civils et criminels du pays. Une haute cour de justice a été instituée pour juger les crimes d’état. Il n’est point ici question des tribunaux de commerce et des conseils de prud’hommes, qui constituent des juridictions spéciales, ni des conseils de guerre et des tribunaux administratifs, qui ne rentrent pas dans le cadre de l’ordre judiciaire en France.

Telle qu’elle est et malgré les révolutions politiques qui se sont accomplies depuis un demi-siècle, cette organisation judiciaire a conservé la forte empreinte de son origine, car dans Ses parties essentielles elle est l’œuvre de l’assemblée constituante. Si les magistrats sont aujourd’hui à la nomination du pouvoir exécutif, si l’appel a été porté à des tribunaux d’un degré supérieur, l’œuvre de l’assemblée nous apparaît toujours dans les justices de paix, dans le jury, dans les tribunaux d’arrondissement, dans le droit d’appel, plus haut même, dans la cour de cassation. Par cela seul que cette organisation a survécu à tant de régimes, elle a prouvé qu’elle avait de solides racines dans le pays, et aussi combien était puissante la conception du législateur de 1789. On l’a vu, le jury n’est appelé aujourd’hui à connaître que des crimes. L’assemblée constituante rejeta à peu près à l’unanimité l’idée de remettre le jugement des causes civiles au jury, comme en Angleterre. Elle vit là de graves inconvéniens, tels que des déplacemens forcés et fréquens pour une grande partie de la population, le défaut de lumières suffisantes dans la majorité des citoyens pour discerner toutes les nuances du fait dans les transactions et les rapports si variés de la vie civile. Elle fut d’ailleurs frappée de ce que la permanence du juge en cette matière n’offrait aucun danger pour la liberté des citoyens, et était