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d’y faire des défrichemens et d’en tripler le produit. Près d’Ouad-Chelaï, un Arabe nommé Mohammed-Hedjazi avait établi dans une île assez grande des cultures maraîchères où venaient s’approvisionner toutes les barques qui passaient ce point, et, loin d’être molesté par les Chelouks, maîtres de toutes les îles jusqu’à six heures de Khartoum, cet agriculteur intelligent s’en était fait des auxiliaires en louant leurs services moyennant un salaire journalier ; J’ai vu moi-même tous ces parages en 1860, et il m’a paru que, comme tant d’autres bonnes choses, tous ces essais dignes d’encouragement avaient échoué par l’effet de la détestable administration du Soudan.

Au-delà d’Ouad-Chelaï et de Duem, le Fleuve-Blanc était aussi inconnu, il y a vingt-deux ans, que l’est encore aujourd’hui le Zaïre. On savait bien qu’au-dessus du pays des Baggara s’étendait sur un espace de cent cinquante lieues un empire puissant par sa civilisation supérieure à celle des autres tribus nègres, par son organisation, qui était celle d’une monarchie militaire et féodale, par le nombre de ses pirogues, enfin par la bravoure de ses guerriers. On ne sait trop d’où venaient les Chelouks, mais on peut supposer qu’ils étaient originaires des bords du Saubat, car aujourd’hui encore ils reconnaissent le droit d’aînesse des Bondjak, leurs frères du Saubat, et leur font chaque année un présent à titre d’hommage. Leur capitale est Fachoda, près d’un bras du Nil étroit et peu fréquenté. Le roi règne d’après une sorte de constitution traditionnelle dont un article lui défend, à ce qu’on assure, de se montrer à des étrangers. On a évalué le chiffre de la population à un million d’âmes, exagération évidente, si l’ou réfléchit que tous les villages sont situés sur une zone très étroite entre le fleuve et le désert. En portant à deux cent mille âmes l’ensemble des Chelouks du Nil, je crains bien d’être encore au-dessus de la réalité.

Les premiers rapports qui s’engagèrent entre le gouvernement du Caire et les Chelouks paraissent dater de 1838, époque du voyage de Méhémet-Ali au Soudan. Un aventurier arabe nommé Abderrhaman s’était, je crois, réfugié chez les Chelouks, et le pacha voulait envoyer quelqu’un qui pût lui persuader de venir se confier à sa loyauté dans Khartoum même. Les officiers du pacha déclinaient à l’envi cette mission. Quelqu’un parle à Méhémet-Ali d’un négociant français résidant en ce moment dans la ville, et connu pour avoir de bonnes relations avec les Chelouks : je ne sais même si le roi ne lui avait pas fait don d’une île. Méhémet-Ali fait appeler Cheikh-Ibrahim : c’était le nom arabe de M. Thibaut, enfant de Paris, combattant philhellène de 1821, et du petit nombre des Frenghis qui ont fait constamment honorer l’Europe dans ces régions éloignées.