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sur le même emplacement ; mais la destruction de ces bourgades fut aussi violente que celle des habitations aquatiques de l’âge précédent, car ce qui nous en reste sous la surface des eaux porte incontestablement les traces du pillage et de l’incendie. Un nouveau peuple, armé de glaives de fer, envahit la vaste plaine ondulée qui s’étale entre les deux bases des Alpes et du Jura, et après une guerre plus ou moins longue finit par s’emparer des forteresses de bois où les populations lacustres s’étaient réfugiées. La catastrophe fut à peu près complète, car, des soixante-dix ou quatre-vingts bourgades qui existaient dans le deuxième âge, onze seulement offrent des traces de l’âge suivant, et sur ce nombre on ne peut guère en compter que trois présentant les caractères d’une occupation prolongée. Les villages lacustres de Steinberg et de Graseren dans le lac de Bienne, de La Tène dans le lac de Neuchâtel, furent les seules localités importantes où la population primitive put chercher un refuge. Peut-être quelques familles des vaincus s’allièrent-elles à celles des envahisseurs ; mais il est probable que la grande masse des aborigènes fut détruite ou forcée, comme un ramas d’esclaves, à prendre les mœurs du vainqueur helvétien. Le peuple disparut, et l’histoire n’a pas même enregistré sa ruine. Les bourgades lacustres, qui pendant le cours de tant de siècles avaient été le séjour d’une race puissante, furent remplacées par de misérables cabanes où des familles de pêcheurs suspendues au-dessus des flots cherchaient leur pauvre existence. Des restes de poteries grossières datant de l’époque romaine prouvent que ces demeures aquatiques étaient encore habitées au commencement de notre ère.

La destruction de la plupart des bourgades lacustres ayant eu lieu lorsque le fer commençait à se répandre dans le pays, il est permis de fixer l’époque de l’invasion à quelques siècles près. Les Phocéens de Massilia et les Belges Kimris, émigrés dans le nord des Gaules, avaient apporté l’usage de ce métal, les premiers dès le commencement du VIe siècle, et les autres pendant le IVe siècle avant l’ère chrétienne. Grâce à eux, les armes de fer durent bientôt remplacer celles de bronze chez un grand nombre des tribus avec lesquelles ils étaient en rapport de commerce. Ainsi, vers le Ve ou le IVe siècle, le fer, vrai métal de la guerre, était plus ou moins connu des Gaulois, et peut-être les peuplades lacustres avaient-elles déjà reçu quelques glaives de fer avec d’autres produits de l’industrie des Phocéens ou des Kimris. Cependant l’usage des armes de bronze était encore général lorsque les indigènes, attaqués par un peuple mieux armé, succombèrent dans une lutte inégale. Les envahisseurs sont connus ; ils ne pouvaient être que les Helvétiens des Gaules ou de la Germanie méridionale. Tous les témoignages recueillis par