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Sous les aunes et les érables à sucre, je m’aventure dans un sentier frayé par les mineurs. Ces intérieurs de forêts sont charmans. La journée est belle, et, tout en pensant aux trois Maries, je pense aussi au vieux docteur de Marquette avec son habit râpé et son long tuyau de poêle en castor déplumé. Heureux homme ! rien ne te distrait, toi ! Et au bout d’un quart d’heure me voilà absorbé aussi, car les cicindèles courent rapidement au soleil sur le sable, et il s’agit de les attraper. Je m’empare de tortuosa et de unipunctata, d’une jolie tettigonide (octolineata), — les vanesses Cardui et Antiopa toutes pareilles aux nôtres, — puis de quelques staphylins (villosus).

Mais voici un autre insecte que je ne me charge pas d’emporter ; c’est un énorme cochon gras couché au beau milieu de la bruyère et mort. Que faisait là, en pleine forêt inhabitée, ce quadrupède au ventre dodu et frais, avec sa tête seule grillée à point, et sentant fort bon ? Si j’avais eu de l’appétit et de la moutarde, j’aurais profité de l’occasion. Seul, un gros corbeau, perché sur la cime d’un arbre mort, croassait d’un ton féroce, jaloux peut-être de me voir là, où attendant avec impatience que ce régal fût un peu faisandé.

On se rembarque, on reprend le prince à Eagle-Rivers, sur la côte ouest de la presqu’île, et on vogue de plus belle en recommençant le bal. Les trois Maries dansent fort joliment et s’en donnent à cœur joie, même la mathématicienne ; mais ces contredanses sautées sont embrouillées de figures incompréhensibles. Je m’abstiens en me remémorant cette grande leçon de Sancho Pança à son maître : « Il ne faut faire devant le monde que ce que l’on fait fort bien. »

24 août. — Nous voici, après avoir traversé trois cent vingt-cinq lieues de lacs, à Bayfield, nec plus ultra de notre gros bateau. Nous devons le quitter ici pour prendre des stages qui nous mèneront à Superior-City et Fond-du-Lac, où nous remonterons, en canot d’écorce, la rivière Saint-Louis. Nous traverserons les forêts jusqu’au Lac-de-Sable, après quoi nous prendrons le Haut-Mississipi pour le descendre jusqu’à Lacrosse, Dubuque et Saint-Louis. Il faut nous munir de mocassins, de jambières de peau, de couvertures, de tentes, de vivres, ou tout au moins de fusils pour nous en procurer ; il nous faut des guides, des porteurs, car nous coucherons dans les bois, et nous aurons des portages, c’est-à-dire des espaces à franchir avec nos pirogues sur le dos. Ragon est déjà désigné pour fortifier nos campemens, M. Mercier pour porter des paroles de paix aux sauvages, Bonfils pour diriger la navigation, Ferri pour orienter scientifiquement la marche, et moi pour faire la soupe.

Je ferais bien, en ma qualité de futur officier de bouche, de m’ap-