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ment de plumes retroussé sur son croupion comme une queue de coq, ses cris de paon, ses sauts de volaille effarouchée, font de lui un oiseau fantastique. Les danseurs s’animent, se rangent autour de lui : alors casserole de tinter, gourde de sonner, talons de frapper ; ce n’est plus qu’un hurlement de bêtes farouches, c’est l’apogée de l’épilepsie. C’est grotesque et terrible tout à la fois. Puis, sans transition, brusquement, tous s’arrêtent. Un des guerriers emplumés, portant sur l’épaule, comme Minerve son égide, une peau de daim fauve tacheté de blanc, le visage inondé de peintures délayées par la sueur, s’avance près des visages pâles, et reçoit au fond du tambourin-casserole, devenu sébile, une collecte de dollars et de menue monnaie ; puis tous ces énergumènes nous tournent le dos sans remercîmens serviles, et d’un pas mesuré se retirent majestueusement vers leurs wigwams.

Un vieux Chippeway, maigre, en haillons, courbé en deux, se soutenant d’un gros bâton, s’avance vers le bateau en dessinant des zigzags sur la jetée. Il est idiot ou ivre, fort laid et très dégoûtant à coup sûr. Il trébuche et tombe, personne n’y prend garde. Une charrette arrive et va l’écraser, personne ne l’aide à se relever. On lui crie gare comme s’il comprenait. Il se lève par un effort désespéré, aux grands éclats de rire des ouvriers occupés à charger notre bois de chauffage, et, comme un aveugle, il entre dans le bateau, et tombe comme une loque près de la machine. Un employé le remet sur ses pieds et le jette dehors comme une ordure. Ce malheureux abruti est une victime de l’eau de feu.

Nous repartons, c’est-à-dire nous revenons sur nos pas, et au lieu de coucher ce soir dans les marais au milieu des ours gris, je me prélasse dans ma cabine et dans mon large lit de bord, ne regrettant pas trop les aventures rêvées, car nous n’étions vraiment pas outillés pour les affronter.

25 août. — Ce matin, à Ontonagon, un chef indien et ses filles montent à bord. Ce chef porte une redingote et un pantalon noir à dessous de pied. Son chapeau noir et sa cravate blanche font ressortir sa bonne grosse figure brune sans barbe ; ses cheveux, d’un noir de jais, sont taillés très convenablement. Il est mieux mis et plus propre que les trois quarts des Américains qui voyagent avec nous. On le prendrait pour un pasteur protestant. Ses filles sont d’un ton rougeâtre. Jusqu’à présent, je n’avais vu, en fait de peaux-rouges, que des peaux bronzées ou olivâtres. Elles portent des robes de toile de coton blanc et rose à volans malgré le froid qu’il fait, et sont coiffées de petits chapeaux ronds en paille marron à bords rabattus, mode anglaise qui fait ressembler les femmes à des carafes coiffées d’entonnoirs. Une troisième Indienne, une servante probablement, en costume demi-indien, demi-américain, porte sur le