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Face à face avec Mathias Corvin, la figure de George de Podiebrad apparaît plus grande que jamais. Nul contraste n’est plus saisissant. Mathias Corvin a pris des mains d’un pontife haineux le glaive d’extermination ; George de Podiebrad ne tire l’épée que pour la défense de sa patrie. Mathias a les passions d’un conquérant, George a le cœur et les vertus d’un roi. Mathias est cruel perfide, George est loyal et clément. Leur vie même répond à leur politique : Mathias Corvin aime le faste dans l’intérêt de son pouvoir, et les sciences, les lettres, les arts, qu’il a eu l’incontestable honneur d’encourager, devaient être l’instrument de ses desseins ; George de Podiebrad, dans son foyer domestique, était un modèle de bonté auguste et de simplicité vénérable. Il y a quelque chose de saint Louis chez ce représentant couronné des nouveaux hussites.

Le commencement de la guerre ne fut pas favorable aux armes des Bohémiens. Le roi George avait recommandé à ses lieutenans. de respecter, les lois de l’humanité autant que celles de l’honneur militaire, de se battre noblement, chevaleresquement, sans obéir jamais à ces conseils de haine qui font les ressentimens éternels. « Mon plus grand soin au milieu des ardeurs de la guerre, écrit un des généraux du roi George, le sire Kostka de Postupic, c’était de prévenir tout incident qui aurait pu exaspérer les deux souverains. Tout en faisant la guerre, je songeais à la paix future, et je ne voulais pas qu’il y eût un jour entre les rois et les peuples réconciliés quelque souvenir plus amer, plus irritant, que celui des nécessités naturelles de la lutte. » On voit que l’humanité du roi avait passé dans l’âme de ses lieutenans. Quelle distance entre les hussites de George de Podiebrad et les hussites exterminateurs que commandait le grand Ziska ! On dirait les soldats de l’Évangile succédant aux soldats de la Bible. Mais pendant que le roi de Bohême faisait prévaloir l’esprit chrétien sur les fureurs guerrières, le pape ne négligeait aucun moyen d’enflammer la rage des croisés. Après avoir renouvelé ses anathèmes au jeudi saint de l’année 1468, après avoir maudit Podiebrad, sa famille, ses amis, ses alliés, jusqu’à la quatrième génération, il s’adressait dans les termes les plus véhémens à ceux des catholiques de Bohême qui ne s’étaient pas encore détachés de leur souverain. ’Nous nous étonnons, s’écriait-il, qu’après tant de bulles et d’anathèmes, il y ait encore des catholiques qui soient favorables à George, qui lui prêtent assistance, qui s’engagent à son service, qui fassent le commerce avec ses sujets. Quiconque ne rompt pas tout rapport avec lui, quiconque vend et achète aux sujets de l’hérétique est banni de la communauté des fidèles et frappé des malédictions de l’église. Vous tous qui résistez à nos ordres, soyez infâmes, incapables de tout acte légal, incapables d’hériter et de tester en justice. Nous déclarons vos débiteurs libérés de toute