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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 41.djvu/169

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ambition, notre rêve. Dès 1838, il y a vingt-quatre ans, la galerie Campana avait acquis dans l’Europe savante une immense célébrité. Elle passait à bon droit, même à Rome, pour la collection particulière la plus riche et la plus variée, bien qu’il n’y fût encore entré que moitié tout au plus des objets qui plus tard la devaient enrichir. L’accès alors n’en était pas facile, et l’examen rapide que tolérait son ombrageux propriétaire ajoutait un certain mystère à sa célébrité. Pour nous, c’est seulement il y a cinq ans, quelques semaines avant la catastrophe encore incompréhensible de cet opulent antiquaire, que nous avions obtenu de bien voir sa galerie et de l’étudier à loisir.

Si quelque chose semblait exclure le caractère soi-disant méthodique que, par une sorte de mot d’ordre, on est convenu chez nous d’attribuer à cette collection, pour la recommander au public parisien, c’était la façon dont à Rome elle était logée, classée, distribuée. Ces détails matériels prouvaient du premier coup, même aux moins clairvoyans, que jamais le marquis Campana n’avait eu le dessein qu’on lui prête de faire de sa galerie une sorte d’enseignement pratique et comme un cours complet d’histoire de l’art. Imaginez qu’à l’exception de deux ou trois séries favorites, les bijoux, une partie des vases et presque tous les bronzes, qu’il avait étalées avec assez de soin et de coquetterie dans son palais de la rue del Babuino, sauf aussi quelques marbres qui ornaient sa villa, toute cette vaste collection était exposée çà et là et presque pêle-mêle dans les salles ou, pour mieux dire, dans les greniers du grand établissement public dont le marquis avait la direction, le mont-de-piété de Rome. Évidemment il ignorait lui-même la plupart des objets que, depuis tant d’années, il entassait dans cette sorte de garde-meuble. Ce n’était, il est vrai, qu’un dépôt provisoire ; mais le provisoire aurait duré toujours, si notre infatigable amateur, en même temps qu’il usait du local, n’eût usé du crédit de l’établissement, et si le sans-façon de sa comptabilité n’eût fini par être découvert. Cette manière d’opérer avait le grand défaut de lui fournir tout à la fois une excuse et une excitation. Ce n’était pas, croyait-il, détourner les deniers confiés à sa garde que de s’en servir ainsi, puisqu’à mesure qu’il les employait à se passer ses fantaisies, il laissait comme en gage aux mains de son prêteur les objets qu’il avait acquis. Ce qui lui manquait, à vrai dire, encore plus que la bonne volonté, pour voir clair dans ses affaires, c’était le temps. La chasse aux œuvres d’art l’absorbait tout entier. C’était sa passion, sa manie : il en avait l’instinct, le flair pour ainsi dire, et se laissait emporter à l’attrait du gibier. Achetait-il un terrain pour y pratiquer une fouille, presque toujours il trouvait quelque chose ; mais pour un objet nouveau, important