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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 41.djvu/174

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avoir les feuilles et les fruits. Tout à l’heure nous verrons dans un coup d’œil d’ensemble si ces rameaux restés vierges nous doivent consoler, s’ils compensent pour nous ceux qui ne le sont plus. Ils ont au moins cet avantage d’être les plus nombreux : sont-ils aussi les plus précieux ? Pour nous en rendre compte, il faut qu’on nous permette de parcourir toute la collection. Nous allons étudier chaque série l’une après l’autre, en commençant par celles où la France est le moins bien traitée.

Nous n’avons garde, cela s’entend, d’accepter et de prendre à la lettre tout ce que M. Guédéonov a dit et imprimé sur son compte, ou plutôt sur le compte de sa mission[1], car, sans se mettre en scène et sans paraître se faire valoir, il ne tend à rien moins qu’à prouver à son gouvernement et au public européen que tout est de premier ordre dans les choix qu’il a faits, et que partout où il a passé ce qui reste ne vaut pas grand’chose.

Cela nous semble fort exagéré. D’abord il a bien pu se tromper quelquefois, et souvent, tout en choisissant bien, laisser au moins l’équivalent de ce qu’il avait choisi. Ainsi, dans la série des marbres, nos souvenirs ne nous rappellent pas qu’il y eût beaucoup d’œuvres non pas même supérieures, mais seulement égales à ce torse vraiment admirable qu’on nous donne pour le torse d’un Actéon, nous ne savons trop pourquoi (peu importe l’attribution), et qui est placé dans le grand salon carré, sous le numéro 102, en pendant d’un Bacchus très mutilé, mais charmant de travail, et dans le voisinage, d’une grande Vénus déshonorée par la plus pauvre restauration, mais conservant pourtant dans certaines parties des caractères de vraie beauté. Ces trois statues, et le torse surtout, qui a tous les droits du monde à passer pour une œuvre grecque, et qui, par la largeur du style et le feu de l’exécution, ne peut manquer d’appartenir à une époque encore florissante, ces trois statues sont à coup sûr de même ordre et de même valeur que les meilleures de celles dont le musée de l’Ermitage paraît le plus s’enorgueillir. Nous ne les plaçons au-dessous ni de cette Junon d’Antium à moitié rapiécée, ni de ces deux Minerve et de ces trois ou quatre Mercure tout replâtrés en stuc, ni surtout de cette suite des neuf Muses, y compris même la Calliope et l’Euterpe, que M. Guédéonov nous donne pour des merveilles. Dans les quarante-trois statues qui lui ont été livrées, nous n’en voyons qu’un petit nombre, telles que la Naïade à la Coquille découverte à Palestrine, ou la petite Lychnophore trouvée à Cumes, qui puissent être sérieusement regrettées.

  1. Notice sur les objets d’art de la galerie Canpana à Rome acquis pour le musée impérial de l’Ermitage. Paris 1861.