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grandes machines, toutes-puissantes pour la production, mais auprès desquelles on n’est pas parfaitement tranquille, parce qu’on craint qu’elles n’éclatent. Il y a deux périls qu’on entrevoit : d’abord l’abus du crédit tendant à pousser l’esprit mercantile au dernier degré de la surexcitation, et déjà je remarque que les prêts et escomptes des cinquante-cinq banques de New-York-City ont passé de 600 à 720 millions : en second lieu, une dépréciation très rapide du papier ferait effondrer tout le système. Plusieurs circonstances rendent ce second danger moins grand en Amérique que partout ailleurs. Un assignat convertible à volonté en rente 6 pour 100 payable en argent ne peut jamais tomber au-dessous d’une certaine limite. Cette obligation même que prend le gouvernement de solder les intérêts en espèces est une garantie contre l’abus des émissions. Il faut considérer encore que l’usage du papier n’est pas en Amérique une innovation dont on s’effraie, que dans l’ouest, par exemple, l’argent n’est jamais employé que comme appoint, qu’en raison de l’emploi général des chèques on rencontrera plus souvent dans la circulation la signature des particuliers que celle de l’état. Il y aura sans doute une grande perturbation et beaucoup de victimes : c’est inévitable dans un si grand ébranlement social ; mais en définitive, quand la paix sera rétablie, il se fera une liquidation très favorable pour les habiles qui auront surnagé. Le 6 pour 100, coté encore aujourd’hui à 98, est payé avec un papier perdant de 15 à 20 pour 100 ; l’achat se fait en réalité au prix de 80, c’est-à-dire au rendement de 7 1/2 : ce sera du patriotisme placé à bon intérêt. Quant à l’état, sa dette fût-elle après la guerre de 10 milliards, s’il peut économiser sur le tax-bill 200 millions pour les appliquer à l’amortissement, ce qui n’a rien d’improbable, il aura remboursé cette dette avant un quart de siècle.

Le nord a pu, grâce à sa richesse exubérante, soutenir une guerre gigantesque d’une manière normale, c’est-à-dire en ménageant les intérêts des citoyens. Il n’en a pas été de même pour le sud. Dépourvu de ressorts financiers, il est entré de plein bond dans la guerre révolutionnaire. Son premier acte, remontant à janvier 1861, a été d’interdire le paiement des dettes contractées envers les gens du nord, faisant ainsi un devoir civique de la banqueroute. Les banques ont été autorisées à suspendre leurs paiemens en espèces. Il est même probable qu’elles ont dû interrompre tout à fait leurs opérations, car ces banques étaient pour la plupart commanditées et dirigées par des capitalistes du nord, qui se retirent, ou patronnées par les autorités des états séparatistes, aujourd’hui sans crédit. À plusieurs reprises on a essayé d’emprunter, soit en constituant une espèce d’hypothèque avec des amas de coton que l’on vendrait plus