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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 41.djvu/286

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la juger, l’Europe compliquait l’affaire ; elle en faisait une cause de dissentiment en Europe. Le traité du 15 juillet 1840 et l’échec éprouvé alors par la France procèdent de la note du 27 juillet 1839. M. Thiers avait donc raison, selon moi, de blâmer comme député la note du 27 juillet 1839. Avait-il le droit, comme ministre, d’essayer de s’affranchir des liens que cette note imposait à la France ? Autre question que je ne veux pas discuter ici. Quoi qu’il en soit, la note du 27 juillet 1839 et ses effets sont le seul point de dissentiment que je trouve entre M. Thiers et M. Guizot sur la politique orientale. Pour tout le reste, ils sont d’accord en Orient. C’est en Occident et en France qu’ils se sont heurtés. Otez la question intérieure : M. Guizot n’avait pas de raison pour entrer au ministère, et M. Thiers n’avait pas de raison pour en sortir.


III

Qu’était-ce donc que cette question intérieure ? J’aurais le droit, ne traitant ici que la question orientale, de laisser de côté la question inférieure et de ne pas me prononcer entre M. Thiers et M. Guizot. Cela me mettrait à mon aise de ne point décider entre Genève et Rome. Je ne veux pas cependant qu’on puisse croire que deux des grands chefs du parti libéral de 1830 se soient séparés et combattus en 1840 par pure rivalité personnelle. Il me semble que toute la génération à laquelle j’appartiens s’abaisse et s’humilie quand elle laisse rapetisser les combats et les généraux qu’elle a eus.

Je ne veux faire aucune comparaison entre M. Thiers et M. Guizot ; je ne veux essayer aucun portrait : la main me démange un peu, je l’avoue ; mais j’ai résisté, il y a un an, au désir que j’ai eu de refaire le portrait de M. Molé pour l’opposer au médaillon, plus poli qu’expressif, qu’en avait fait M. Guizot dans son quatrième volume. Je ferai bien mieux encore de ne pas chercher à faire le portrait des deux illustres orateurs qui ont lutté l’un contre l’autre dans la session de 1840. Je puis dire cependant, sans manquer à l’admiration et au respect que j’ai pour eux, que M. Thiers avait un défaut quand il était au ministère : c’était de trop songer à la manière dont il en sortirait. Il préparait pour ainsi dire sa sortie des son entrée, et le ministre pensait trop à ce que serait le député de l’opposition, et au parti qu’il aurait dans la chambre et dans le pays. M. Guizot au contraire avait une grande qualité quand il était ministre ; il ne songeait qu’à le rester. Il n’aimait pas à être hors du pouvoir : cela lui semblait une sorte d’émigration qui lui faisait perdre la véritable intelligence du temps et du pays. Ayant consenti à rester ambassadeur à Londres après l’entrée de M. Thiers au ministère,