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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 41.djvu/290

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affaires le 29 octobre 1840, et par l’adhésion de la chambre des députés qui, avec M. Thiers et M. Guizot, ne voulait pas faire la guerre pour la Syrie, que le pacha d’Égypte n’avait pas su défendre, et qui, avec M. Guizot, ne voulait pas aider au mouvement révolutionnaire des esprits, étant décidée à ne point arriver au but de ce mouvement.


IV

Je n’ai point hésité à dire franchement comment tout le monde en France s’était plus ou moins trompé sur l’Égypte en 1840. Nous avions l’air de prendre l’empire égyptien pour un dénoûment de la question d’Orient, tandis que la grandeur du pacha n’était qu’une des aventures ordinaires de l’histoire de l’Orient musulman, où les choses se font et se défont vite. Je dois maintenant exposer aussi franchement en quoi l’Angleterre s’est trompée sur la Turquie comme nous nous trompions sur l’Égypte. La France se faisait illusion sur le présent quand elle croyait à la puissance du pacha ; l’Angleterre se faisait illusion sur l’avenir quand elle croyait à la résurrection de la Turquie. L’Angleterre en 1840 a triomphé un peu insolemment de notre illusion ; nous devons dans l’avenir triompher de l’illusion de l’Angleterre. Et qu’on ne dise pas que lord Palmerston ne croyait point que l’Angleterre dût accomplir la restauration de la Turquie. Cette idée fait le fond de toute son argumentation contre M. Guizot. Il Pour fortifier l’empire ottoman, dit-il à M. Guizot le 4 mars 1840, il faut lui rendre une partie des territoires qu’il a perdus. » — « Croyez-vous, mylord, que vous fortifierez réellement l’empire ottoman en lui rendant plus de territoires ? Ne nous repaissons pas d’illusions ; cet empire n’est pas mort, mais il se meurt, il tombe en lambeaux- ; nous pouvons prolonger sa vie, mais non le ressusciter effectivement. Vous ne lui rendrez pas avec la Syrie la force de la gouverner ni de la garder ; l’anarchie, le pillage, la violence et l’impuissance turques reprendront possession de cette province, et vous serez responsable de son sort[1]… »

Arrêtons-nous un instant sur ce point : oui, encore un coup, nous nous sommes trompés sur l’Égypte en 1840 ; mais que dirons-nous de l’erreur de l’Angleterre ou de lord Palmerston en 1840 sur la Syrie ? Laissons de côté un instant l’erreur générale sur la résurrection de la Turquie. L’erreur particulière sur la Syrie est elle assez grave et, j’ajoute, assez désastreuse ? Que faisait la France en se trompant sur l’Égypte ? Elle attribuait à Méhémet-Ali plus de puissance qu’il n’en avait, voilà tout ; mais en se trompant sur la Syrie, en rendant cette

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